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Un parcours émancipateur, une question de « trans-formation »

En une dizaine d’années, Sophia Papadopoulos a occupé plusieurs fonctions à Lire et Écrire : formatrice volontaire puis salariée, coordinatrice pédagogique et, désormais, directrice de la régionale du Brabant wallon. Son parcours, fruit d’un concours de circonstances et d’une volonté d’aller au bout de son engagement, la dote d’une vision panoramique de l’action et des pratiques de Lire et Écrire, ainsi que des enjeux, influences et conceptions à l’œuvre dans les différents registres de relations qui s’entrecroisent et forment la trame du mouvement (relations entre apprenants et formateurs, entre apprenants et apprenants, entre apprenants et société, entre employés et direction, entre mouvement et société, etc.).

Elle se confie ici sur sa vision du processus d’émancipation à partir des évènements de son histoire personnelle et professionnelle qui forment les racines vives de son engagement pour une société plus juste et plus solidaire.

Récit de Sophia Papadopoulos
Lire et Écrire Brabant wallon

Recueilli par Louise Culot
Lire et Écrire Communauté française

Un article du Journal de l’alpha 220 : Émancipation.

Dans la langue française classique, s’émanciper au sens littéraire signifie prendre la liberté de, se laisser aller à, avec presque quelque chose d’impulsif (…) [1] À plusieurs moments de mon parcours, j’ai pris la liberté d’oser ou simplement j’ai osé la liberté.

Je suis tombée amoureuse de Lire et Écrire

Je suis à Lire et Écrire depuis 2006. À l’époque, j’avais repris des études pour devenir institutrice. Un de nos professeurs, qui était volontaire à Lire et Écrire, avait invité un apprenant à témoigner de son parcours d’illettré à lettré devant la classe. Je m’en rappelle comme si c’était hier. L’écouter a été comme un électrochoc. J’ai tout de suite voulu m’engager comme volontaire. Je dis toujours que je suis tombée amoureuse de Lire et Écrire…

J’ai grandi dans l’épicerie de mes parents, sur le boulevard du Midi à Bruxelles. Comme beaucoup de gens dans ce quartier, mes parents étaient des immigrés. Mon père avait fui la dictature en Grèce et ma mère, la dictature en Espagne. L’un et l’autre ont toujours été très ouverts et nous nous entendions très bien avec tout le voisinage, sans aucun problème lié aux différences culturelles. Toutefois, mon père avait une vision assez traditionnelle de la femme (sourire). Dès mon plus jeune âge, il avait un plan pour moi : faire un bon mariage et travailler au magasin après avoir terminé mes primaires. C’est très cliché, mais c’est une vision liée à son histoire.

Un jour, alors que j’étais encore enfant, je l’ai entendu parler de ce projet à ma mère et ça a été la panique ! Je suis tout de suite allée voir mon instit en lui racontant ce que j’avais entendu et mon père s’est fait convoquer par le directeur de l’école. Il lui a dit que je ne pouvais pas arrêter l’école si jeune, que je devais au moins poursuivre ma scolarité jusqu’à 15 ans en vertu de l’obligation scolaire. Je l’ai donc poursuivie. Comme j’étais bonne élève, mon père a changé d’avis : au lieu d’aider au magasin, je pourrais ouvrir une agence de voyage, un autre cliché classique de la diaspora grecque (sourire). Je me suis donc retrouvée en tourisme. C’est à ce moment que ça a commencé à mal tourner. Je rejetais ce parcours que mes parents m’avaient plus ou moins imposé… Jusqu’à la rupture. J’ai abandonné mes études et j’ai présenté le jury central pour pouvoir m’inscrire en faculté de droit, à l’université. Très vite, je me suis rendu compte que je n’étais pas à ma place et je suis partie en Espagne. À mon retour, je me suis inscrite en secrétariat de direction et, ce diplôme en poche, j’ai enchainé les boulots. Mon frère, qui, comme garçon, avait pu choisir ses études et était entretemps devenu médecin, m’a proposé de travailler dans son cabinet. J’y suis restée le temps que mes enfants grandissent un peu. Finalement, en 2006, j’ai repris des études pour devenir institutrice. Et tu connais la suite…

Après trois ans comme volontaire, j’ai eu une proposition de contrat de travail à Lire et Écrire pour donner une formation dans la Cellule de reconversion du Forem du Brabant wallon. Je n’ai jamais été institutrice.

La rupture, parfois, mais pas toujours

Pour moi, il est extrêmement important de lutter contre la reproduction des stéréotypes de genre. On ne devrait pas enfermer les individus dans leur genre et le seul genre qui vaille, c’est le genre humain [2].

Je pense qu’il est parfois nécessaire de passer par la rupture pour permettre un changement, une évolution dans certains rapports. Dans mon histoire personnelle, la rupture a fait partie du processus d’émancipation. J’ai dû passer par là pour transformer le destin réservé à mon genre dans la famille dans laquelle je suis née. L’émancipation est un chemin qui n’est pas en ligne droite, c’est un chemin accidenté, avec des moments de stagnation, des moments d’attente, des moments de régression même et, parfois, des moments de rupture, à condition de ne pas s’engager sur une voie sans issue. La rupture que j’ai vécue avec ma famille n’a pas été irrévocable, elle a été un tremplin pour le changement et nous nous sommes retrouvés plus tard. La confiance sur laquelle est bâtie notre relation nous a permis à chacun de dépasser ce moment. Je ne pense pas que ce soit toujours le cas. La rupture n’est pas toujours adéquate pour faire évoluer une situation et ses conséquences peuvent être très lourdes. Dans la vie professionnelle, la rupture peut aller de pair avec la perte d’emploi. Quand on est dépendant d’un travail salarié, on n’a pas vraiment le choix.

Dans une institution de l’envergure de Lire et Écrire, je ne compterais pas sur la rupture comme moteur de transformation. Je ne me rendrais pas à une réunion du Collège des directeurs en me disant que le seul moyen de faire évoluer le mouvement sur tel ou tel plan est de passer par la rupture. Lire et Écrire est empreint d’une histoire, elle-même héritée de la complexité institutionnelle de la Belgique [3], dont le mouvement pourrait s’émanciper pour faire progresser les pratiques, parvenir à davantage de transparence, régler des tensions entre son socle pédagogique et sa structure hiérarchique, mais cela prendrait du temps et je ne crois pas que la rupture contribuerait à une évolution sereine. Et, quoi qu’on en dise, nous sommes bien un mouvement : mouvement veut dire dynamisme, transformation, évolution, stagnation, retour en arrière, saut en avant… La transformation est un parcours en dents de scie, avec des hauts et des bas. Quand je vois les possibilités de formation continuée que le mouvement offre, je trouve que nous faisons du bon travail, que nous nous donnons les moyens de poursuivre l’action d’émancipation.

Citoyenne du monde

Mes parents n’étaient pas analphabètes mais, dans l’entourage de l’épicerie, certaines personnes l’étaient. J’ai grandi au milieu d’une foule de gens de tous les horizons, dans un esprit d’interculturalité très sincère et ça m’a énormément aidée lorsque je suis devenue formatrice volontaire : c’est devenu un socle pour bâtir des relations de compréhension mutuelle et de confiance avec les apprenants et au sein des groupes de formation. J’ai grandi comme citoyenne du monde, mes identités sont multiples et, en ce sens, je me sens proche d’une partie des personnes qui poussent la porte de Lire et Écrire. Je pense que cette conscience qu’on est citoyen du monde est un outil d’émancipation car elle permet de relativiser et de prendre de la distance vis-à-vis de toute situation ou croyance, vis-à-vis de notre propre parcours. En même temps, mon histoire me permet de comprendre pourquoi certaines personnes peuvent se sentir coincées, étouffées dans leur condition de migrants, sans avoir l’impression de pouvoir s’en sortir. Le partage de cette condition, même si je suis déjà issue de la deuxième génération, a été un allié dans mon parcours chez Lire et Écrire.

C’est aussi cette condition qui, à la base, a structuré mon engagement. Je suis convaincue qu’afin que tous aient les mêmes chances dans la société, peu importe leurs origines ou la couleur de leurs passeports, il est primordial que l’école garantisse la réussite de tous les élèves. Le meilleur levier d’émancipation, c’est l’éducation et la culture. Tout le monde doit avoir le droit d’y accéder. Pour moi, un des grands problèmes de notre société actuelle, c’est qu’elle refuse le droit à l’erreur. Se tromper, échouer est habituellement considéré comme une faute, avec les conséquences qui y sont liées : mésestime de soi, sentiment de ne pas être à la hauteur. Cette culture est délétère pour la confiance en soi. Nous ne sommes pas non plus tous égaux face à l’échec. Certaines personnes vont avoir la possibilité d’une seconde chance, d’autres pas. Dans certains cas, un échec peut devenir une catastrophe. Par exemple, lorsqu’un enfant rate à l’école et qu’il est orienté vers une filière de relégation ou qu’il doit aller travailler. Je pense qu’un échec doit être considéré comme une opportunité pour rebondir et non comme une chute qui fait mal. Face à l’échec, tous devraient pouvoir se donner la possibilité de recommencer, de faire autrement, autre chose. C’est la condition pour que tous finissent par réussir. Les erreurs, si elles sont analysées, sont des indicateurs des progrès à réaliser, de ce qu’il convient de retravailler. Alors déceler ses erreurs ne fait plus peur. Au contraire même, leur repérage peut être recherché pour progresser.

Pédagogie, une recherche insatiable

Avant de m’engager à Lire et Écrire, j’étais déjà intéressée par les pédagogies émancipatrices. J’ai moi-même reçu une éducation très classique, pas du tout émancipatrice et je voulais autre chose pour mes enfants. Ils sont allés dans une école d’inspiration Decroly, à une époque où c’était encore un courant très marginal, voire mal vu par des enseignants et des parents qui estimaient que ce type d’école ne préparait pas suffisamment les enfants à l’enseignement supérieur et à être compétitif dans notre société du « chacun pour soi ».

Même si rien n’est jamais gagné, je suis convaincue qu’une approche pédagogique émancipatrice basée sur l’autonomie et la confiance permet de construire plus de liberté. Pour moi, c’est ça le « tous capables » et c’est vraiment un mantra dans mon engagement. Quand je suis entrée à Lire et Écrire, le cadre de référence pédagogique [4] n’avait pas encore été publié, mais il existait déjà des démarches et des pratiques qui m’ont tout de suite passionnée. C’est cette approche pédagogique qui m’a convaincue. Personnellement, je suis aussi convaincue que les arts, le fait de solliciter et de stimuler la créativité est une porte d’entrée très porteuse pour créer des conditions d’apprentissage optimales, pour créer de l’ouverture. Je chante moi-même et je suis toujours surprise de l’effet que cela a sur moi. Je crois que le chant, le théâtre, l’écriture créative… peuvent être d’excellents vecteurs d’apprentissage. Je me rappelle d’une dame dans un groupe de débutants à l’oral pour qui c’était tellement difficile de prononcer le français. Nous avions à l’époque monté une pièce de théâtre et, quand elle a eu à jouer son rôle, elle était tellement absorbée et engagée dans le projet qu’elle a complètement dépassé ses difficultés [5]. Elle prononçait sans aucun problème. C’était magique ! J’étais volontaire à l’époque, et ça m’a énormément motivée à continuer sur cette voie.

Quand je suis devenue formatrice, je fouinais au centre doc du Collectif Alpha pour consulter des ouvrages et compiler du matériel. Aujourd’hui encore, j’essaie de continuer à m’informer. Je suis particulièrement intéressée par les recherches à l’intersection des neurosciences, de la pédagogie et des sciences sociales. Ce matin, j’écoutais une conférence de Régine Kolinsky, une chercheuse en psychologie et en sciences cognitives, qui s’intéresse à ce qui se passe dans le cerveau quand un adulte apprend à lire. On sait maintenant que l’accès à la lecture provoque une transformation chimique dans le cerveau. Le fait d’accéder à un code culturel, la sortie de l’illettrisme va peut-être permettre à la personne de s’émanciper d’une situation. C’est une transformation qui va s’inscrire non seulement socialement mais aussi biologiquement. On en apprend chaque jour davantage. J’ai envie que Lire et Écrire innove et contribue au développement de nouvelles pratiques. Je pense qu’il est très important de se dépoussiérer de temps à autre. J’imagine par exemple une grande mise au vert où l’ensemble du mouvement chercherait des articulations entre ces nouvelles découvertes et les pratiques actuelles…

Le terrain, l’incarnation de la charte, le cadre de référence pédagogique, sa chair

Ce que je ressentais en tant que formatrice, c’était que les apprenants et moi, c’est-à-dire le groupe, nous incarnions la charte de Lire et Écrire. Pour moi, la charte, ce sont des mots ; le terrain, c’est l’incarnation de ces mots ; et le cadre de référence pédagogique, c’est sa chair. La publication du cadre de référence, et tout le processus de travail qui y a mené, a permis au mouvement de poser un regard sur ce qui a été réalisé, sur ce qu’on allait faire de ce parcours et de formaliser des processus et des méthodes afin de ne pas s’en voir imposer de l’extérieur. Notre travail et notre vision pédagogiques sont fragilisés par le contexte politique et économique, et je pense que le cadre de référence est un levier d’émancipation et de résistance dans ce contexte qui fait plutôt la part belle à des modèles verticaux de transmission des savoirs et des pouvoirs. Ce fut une sacrée aventure de prendre part au groupe de travail qui a porté ce projet. La posture du formateur est aussi importante que les méthodes pédagogiques. Elle est même cruciale. La volonté de coconstruire, de faire corps dans un souci d’égalité, en considérant chaque personne avec le même égard, est tellement importante.

Si cela ne tenait qu’à moi, nous devrions tous être militants mais je suis consciente d’être parfois très exigeante, et qu’il est compliqué d’obtenir un engagement quotidien proche du militantisme de la part de tous les travailleurs. L’évolution liée à la professionnalisation du secteur ne va sans doute pas dans le sens du maintien du militantisme. Pourtant, les circonstances actuelles et les conditions de travail qui en découlent impliquent d’être extrêmement engagés, même plus qu’avant, car nous allons à contrecourant du climat politique et économique contemporain.

Répondre aux besoins des personnes

L’émancipation est un parcours, ce n’est pas une fin en soi ou un résultat, on n’est jamais totalement émancipé, on a toujours du chemin à parcourir. À mon sens, la première chose pour aider les apprenants à s’engager sur une voie d’émancipation, c’est de répondre à leurs besoins.

Aujourd’hui, la situation d’un illettré est aggravée par la numérisation de la société et nous devons tenir compte de cette évolution. Beaucoup d’apprenants nous parlent de cette urgence. Il ne s’agit plus seulement d’apprendre à lire et écrire mais aussi d’apprendre à se débrouiller dans le nouvel environnement numérique. C’est l’un des grands défis que nous prenons à bras-le-corps actuellement, même si j’ai envie de continuer à me battre pour que le numérique n’avale pas tout, que le contact humain persiste, qu’une garantie d’accueil en face à face soit maintenue partout, dans tous les services publics.

Que les personnes viennent à Lire et Écrire pour trouver un emploi, pour suivre un enfant à l’école, pour devenir plus autonomes, etc., il est important pour moi de toujours garder en tête ces besoins au moment de mettre en place une animation. Et bien sûr, de créer un cadre sécurisant et les conditions pour que tous puissent oser. Oser : c’est ça, pour moi, s’émanciper. Pour cela, il faut donner du courage aux gens, du courage et de la confiance.

Pour proposer une formation de qualité, il faut par ailleurs pouvoir travailler dans de bonnes conditions. Ici, en Brabant wallon, nous avons un problème de locaux, le marché immobilier est très tendu et les systèmes de financement compliquent de plus en plus la possibilité d’investir dans les infrastructures. On se retrouve donc dans des locaux soit trop petits, soit mal isolés. Or comment mettre en œuvre des conditions de travail et d’apprentissage émancipatrices si on n’a pas de place, pas de lumière ou si on entend tout ce qui se dit dans le local d’à côté ?

Se mobiliser pour la prise en compte des personnes illettrées

Une autre difficulté que rencontre Lire et Écrire est le fait que l’illettrisme est peu connu du grand public, des hommes et femmes politiques qui pensent en général que cette problématique touche uniquement les migrants. Toute une partie de notre public reste invisible. Je pense que les pouvoirs publics ne s’emparent pas réellement de la question, qu’il n’y a pas de réelle politique pour l’alpha. Nos revendications [6] sont peu prises en compte : nous ne connaissons toujours pas le nombre de personnes concernées par l’analphabétisme en Fédération Wallonie-Bruxelles ; plus que jamais, nous devons faire face à un manque criant de coordination entre les différentes politiques qui financent les actions d’alphabétisation ; les contraintes administratives auxquelles nous sommes confrontés ne font qu’augmenter et entrent toujours plus en concurrence avec l’investissement sur le terrain, la réflexion sur nos actions, la possibilité de travailler sur de nouvelles articulations ; etc. L’analphabétisme ne semble pas être une priorité pour nos politiques. Comme le disait Catherine Stercq : notre société aurait-elle besoin d’analphabètes ? [7]

Bien sûr, nous avons de petites avancées. Par exemple, au niveau local, nous avons pu collaborer avec l’échevine de l’Enseignement, de l’Extrascolaire et de la Jeunesse de Nivelles. Elle nous a contactés en 2019 car ils voulaient adapter les formulaires d’inscription aux plaines de vacances organisées par la Ville pour les rendre accessibles aux parents en situation d’illettrisme. Nous avons pu travailler sur les formulaires avec des apprenants et nous avons renvoyé des propositions de modifications. La Ville en a tenu compte. Cette action a permis d’amorcer une réflexion au sein de l’administration communale pour un relooking de l’accueil et un meilleur accès aux services administratifs pour les personnes ayant des difficultés à lire et écrire, précarisées ou ne maitrisant pas le français.

Le fait que Lire et Écrire soit porté par les mouvements ouvriers nous permet aussi de mener une action collective à différents niveaux. Ainsi, au niveau wallon, nous avons mené des combats et obtenu de petites victoires : par exemple, l’an dernier, suite à la mobilisation syndicale et patronale contre les mesures du ministre Jeholet, à laquelle ont pris part tous les secteurs concernés [8], les mesures prévues n’ont finalement pas été adoptées. Qu’on le veuille ou non, nous sommes aujourd’hui totalement « dépendants » des subventions des pouvoirs publics, c’est une reconnaissance et, en même temps, une forme de dépendance. La professionnalisation de notre secteur renforce cette situation et entrave notre chemin d’émancipation.

Trans-formation…

Les différentes positions que j’ai occupées à Lire et Écrire m’ont permis de me rendre compte de l’ensemble des difficultés qui peuvent exister, à tous les niveaux de travail. D’avoir été précédemment formatrice m’aide dans la fonction de directrice que j’occupe aujourd’hui. Je sais ce que c’est que d’animer un groupe au jour le jour, même si chaque formateur et chaque groupe ont des spécificités et un parcours singulier.

Quand je suis entrée dans l’équipe de formateurs du Brabant wallon, il y avait une coordination pédagogique. Deux ans après, ce poste n’existait plus. Les formateurs faisaient alors ce travail de manière informelle. La direction a ensuite proposé à l’équipe une organisation avec des formateurs-référents (trois à l’époque pour la province, dont je faisais partie) qui encadraient les formateurs volontaires. En 2014, je suis devenue coordinatrice pédagogique. La même année, Nathalie Kother, qui était alors directrice, est tombée malade. En son absence, j’ai pris en charge des questions qui revenaient à la direction. Nathalie me soutenait dans ce sens, si bien qu’en 2016, devant la prolongation de son absence, j’ai été investie de la mission de directrice ad intérim. Ça s’est prolongé pendant près de deux ans, jusqu’à ce que Nathalie nous quitte. Je n’avais pas en tête de devenir directrice, ça s’est présenté comme ça, dans ces circonstances. J’ai hésité, puis accepté car Nathalie et d’autres m’avaient soutenue dans cette fonction pendant l’intérim.

J’ai toujours été soutenue à Lire et Écrire. Je pense que la solidarité traverse tout le mouvement. Bien sûr, comme directrice, je me sens parfois plus seule qu’avant. La gestion des ressources humaines est un exercice très difficile car il faut aussi pouvoir gérer des conflits. Même si je suis très à l’aise dans les relations humaines, des tensions surgissent inévitablement dans une structure où il y a une hiérarchie, des positions et des rapports de force. J’essaie d’apprendre de mes erreurs, de me décentrer parfois, de prendre du temps, beaucoup de temps et de recul pour déconstruire là où il faut faire évoluer certaines choses…

Alors, suis-je une directrice en voie d’émancipation ? La réponse n’est pas simple, l’émancipation n’est pas un aboutissement mais un combat, un chemin… Prendre la liberté d’oser, disais-je en commençant…


[1Emmanuel Brassat, Les incertitudes de l’émancipation, in Le Télémaque, 2013/1, no 43, pp. 45-58.

[2À ce propos, je suis contente que Lire et Écrire se positionne en faveur de la mixité des groupes, quoique je respecte le choix de non-mixité d’autres associations.

[3Les mouvements porteurs de Lire et Écrire, représentés dans les conseils d’administration communautaire et régionaux, sont les mouvements ouvriers chrétien et socialiste.

[4Aurélie Audemar et Catherine Stercq (coord.), Balises pour l’alphabétisation populaire. Comprendre, réfléchir et agir le monde, Lire et Écrire, 2017.

[5D’autres ont déjà mentionné ce genre de dépassement de difficultés langagières. Voir par exemple : Perihan Isil (interview par Aurélie Leroy), Le théâtre-action pour favoriser les liens entre l’oral et l’écrit, in Journal de l’alpha, no 211, 4e trimestre 2018, p. 45.

[7Catherine Stercq, Notre société a-t-elle besoin d’une population illettrée ?, in Journal de l’alpha, no 167-168, février-avril 209, pp. 8-12.

[8Voir, par exemple, Éric Deffet et Belga, Manifestation à Namur : plusieurs milliers de personnes dénoncent la politique sociale de la Wallonie in Le Soir, 18/03/2019.