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Analphabétisme : un véritable enjeu de société actuel

Un aperçu de ce que nous apprend le livre Alphabétisation d’adultes. Se former, se transformer

L’analphabétisme est un phénomène bien présent en Belgique, 1 personne sur 10 y est confrontée. Malheureusement c’est un sujet encore peu connu, mal identifié et souvent tabou, tant pour les personnes elles-mêmes que pour les proches ou les entreprises.

Pour Lire et Écrire, apprendre à connaître ses apprenants est essentiel pour les accompagner au mieux. Chaque année, Lire et Écrire en Wallonie édite un baromètre : en 2020, 1 734 apprenants sont venus en formation pour un total de 320 306 heures de formations données.

Cependant, les chiffres ne sont qu’une facette, apprendre ce qui les motive à franchir le pas est tout aussi important. Après plusieurs années d’étude, Lire et Écrire, accompagnée d’un chercheur universitaire, vient d’éditer à L’Harmattan son livre Alphabétisation d’adultes. Se former, se transformer.

Pour les personnes qui sont confrontées à des difficultés en lecture et écriture, le quotidien devient souvent une épreuve : tout simplement pour lire la prescription du médecin, pour faire ses courses et taper le code de sa carte bancaire, pour remplir les formulaires en ligne ou encore pour lire une histoire à leurs enfants le soir. C’est alors le monde, le recours à leurs droits fondamentaux et la vie sociale qui échappent à ces personnes.

Celle-là on ne lui parle pas, elle sait pas lire et écrire, c’est une bonne à rien. Ça, on me l’a déjà claqué dans la tête. Quand tu ne sais pas lire et écrire, on te regarde. Ce sont des discriminations de tous les jours, en tout genre. Notre société fonctionne comme si tout le monde savait lire et écrire. — Amélie, apprenante à Lire et Écrire.

L’analphabétisme n’est pas une fatalité, il est possible d’apprendre quel que soit son âge

L’analphabétisme n’est pas une fatalité. Il est possible d’en sortir pour toute personne, quel que soit son âge. En 2020, en Wallonie, ce sont 1 734 personnes qui ont osé franchir le pas d’entrer en formation à Lire et Écrire. Autant de personnes qui ont décidé de changer de vie, de franchir les obstacles qui les empêchent d’être autonomes dans leur vie de tous les jours comme dans leur parcours professionnel. Parmi les apprenants, on retrouve quasiment autant de femmes que d’hommes (56 % de femmes et 44 % d’hommes). Et bien que toutes les tranches d’âge adulte soient présentes, ce sont majoritairement des personnes âgées entre 35 et 44 ans (29 %).

Dans son livre Alphabétisation d’adultes. Se former, se transformer, Lire et Écrire s’est posé la question de la motivation qui pousse les apprenants à franchir le pas d’entrer en formation. Une des raisons les plus évidentes est celle de trouver / garder un emploi (selon le baromètre, parmi les apprenants en 2020, 29 % sont sans revenu, 26 % sont chômeurs et 28 % sont bénéficiaires du CPAS). Cependant, des entretiens effectués dans le cadre du livre, on remarque d’emblée que ce n’est pas la seule et qu’elles sont complexes, multiples et étroitement imbriqués.

On retrouve parmi les autres raisons : la conquête d’une plus grande autonomie tant dans sa vie professionnelle que personnelle, la volonté de sortir du statut d’assisté et d’à son tour pouvoir aider les autres, la volonté d’assumer pleinement son rôle de parents, la volonté de trouver sa place dans la société ou encore la volonté de sortir de l’isolement…

La lutte contre l’illettrisme, un enjeu politique, social et économique majeur

En 2020, les régionales de Lire et Écrire ont réalisé 320 306 heures de formations. Mais venir en formation à Lire et Écrire, ce n’est pas seulement acquérir les compétences de base. Les apprenants font, à petite échelle, dans un espace « protégé » et psychologiquement sécurisant, l’expérience — pour beaucoup nouvelle — du lien social : par exemple, les progrès dans les apprentissages augmentent l’autonomie dans la vie quotidienne, qui modifie à son tour notamment les rôles au sein la cellule familiale, permet de reconfigurer les liens sociaux et de consolider la confiance en soi.

Avant j’avais honte. J’étais obligé de donner mes factures à mon assistante sociale pour qu’elle m’aide à les payer. Maintenant je sais les traiter tout seul. Je me sens bien, je n’ai plus peur, je me sens libre — Pierre, apprenant à Lire et Écrire.

Au départ, j’étais vexée et furieuse. À cinquante et des ans, on me renvoyait à l’école comme une gamine. Au début, je râlais mais après, je me suis dit que j’avais bien fait d’accepter parce que ça m’a fait du bien. Avant j’étais fort renfermée. Lire et Écrire a fait que je me suis ouverte aux autres, au monde comme on dit — Françoise, apprenante à Lire et Écrire.

80 % de taux d’emploi d’ici 2030, l’importance de la formation

On remarque que les apprenants sont souvent exclus des formations professionnalisantes, notamment par la présence de tests d’entrée dont le niveau requis n’arrête pas d’augmenter et qui sont parfois complètement déconnectés du métier. Résultat : au lieu de soutenir les personnes analphabètes à se lancer sur le marché de l’emploi et s’insérer dans la société, on les renvoie vers une formation pour apprendre à lire et à écrire avant de pouvoir prétendre à autre chose. Une solution existe pourtant, la possibilité de créer des formations concomitantes, d’apprendre à lire et à écrire en même temps qu’apprendre un métier. Il ne s’agit pas de faire de l’apprentissage “adéquationiste”, de n’apprendre que les termes liés au métier, mais de rencontrer les deux attentes des apprenants : apprendre à lire et à écrire et acquérir des compétences professionnelles pour trouver ou garder un emploi. Par exemple : apprendre les quantités et la lecture sur base d’une recette pour ceux qui suivent les formations de bouche par exemple. Mais pour ça, elles doivent recevoir une reconnaissance structurelle et financière de la part des autorités publiques., explique Joël Gillaux, directeur de Lire et Écrire en Wallonie.

Les impacts de la crise covid

Cette année covid et les mesures sanitaires ont poussé certains apprenants à arrêter leur formation. Lors du premier déconfinement, la grande absente est la femme. En effet, parmi les personnes dans une démarche d’insertion socio­professionnelle qui ont arrêté leur formation à cause du 1er confinement, 62 % sont des femmes. Dans certaines régions, le taux est même plus élevé. C’est le cas pour le Brabant wallon (65 %), le Luxembourg (71 %) ou encore Liège Huy Waremme (69 %). Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : la place des femmes, la gestion des enfants et la maison, la peur d’apprendre dans le même espace et devant les autres membres de la famille, le non-accès aux outils numériques…

Par rapport au numérique, on sait que ce mouvement est une réalité qui va perdurer et qui s’est fortement accéléré pendant l’année 2020. Notre rôle sera d’être attentif et porteur de la parole des apprenants face à ces nouvelles difficultés. Ce phénomène ne doit pas avoir comme impact d’exclure encore un peu plus le public en difficulté de lecture et d’écriture. Proposer des balises sera une des missions de Lire et Écrire — Joël Gillaux, Lire et Écrire en Wallonie.