À cause de la pandémie, les institutions essentielles de 1re ligne ont dû s’adapter. Le Forem, l’Onem, les CPAS, mutuelles, communes, … privilégient alors le « tout à distance » et le « tout numérique ». Les conséquences et les constats de situations inhumaines apparaissent :
Le directeur d’Actiris tirait la sonnette d’alarme, il y a quelques jours, sur le fait que le chômage augmente partout… sauf dans la population la plus fragilisée. Son explication : les fractures numérique et linguistique. Un phénomène ressenti également en Wallonie. En effet, il est étonnant de constater qu’entre décembre 2019 et décembre 2020, le nombre de demandeurs d’emplois augmente significativement partout (secondaire 2e degré : +1,6%, secondaire 3e degré : +3,59% et supérieur : +4,13%) là où les personnes ayant un niveau primaire et secondaire de base n’augmente que de 0,22% (source : chiffres Forem). La fracture numérique et/ou l’inaccessibilité des services en sont-elles aussi la cause ?
Les propos du ministre Dermagne le 9 février 2021 au parlement fédéral sont aussi alarmants : les organismes de paiement sont peu voire pas joignables, et des milliers de demandes ne sont pas traitées dans les temps. La Capac doit encore régler 2.000 dossiers pour le mois de novembre, 4.000 pour décembre et environ 10% des dossiers de janvier sont toujours en attente. L’explication avancée est la même : "Les problèmes concernent surtout le public qui, en raison des mesures prises pour lutter contre le Covid-19, ne sont pas en mesure de rendre leur dossier complet. La numérisation s’amplifie, mais la fracture numérique est toujours bien présente et de nombreuses personnes ont toujours besoin d’aide pour remplir correctement leur dossier en ligne. Les CPAS sont dépassés par les demandes de soutien".
Mais que font alors toutes ces personnes en détresse profonde ? Elles se tournent vers les associations qu’elles connaissent. Conséquence : ces travailleurs se retrouvent sous pression et doivent se réinventer voire faire passer leur métier de base en second plan pour répondre aux situations urgentes de certains. C’est notamment le cas des régionales wallonnes de Lire et Écrire.
Imaginez notre public en difficulté de lecture et d’écriture. Comment apporter les documents complets à temps quand on ne sait pas remplir un formulaire en ligne ? Comment avoir quelqu’un au bout du fil pour nous aider quand, avant d’y parvenir, il faut appuyer sur plusieurs touches en fonction du menu ou encore donner son numéro de registre national ou épeler son nom ? C’est un véritable désastre humain qui est en cours.
Cependant, des pistes peuvent être trouvées ensemble et peuvent se traduire par une série d’actions comme par exemple :
- Repenser les démarches de « 1er contact » pour faciliter celui-ci pour les personnes éloignées numériquement, ou ne parlant pas la langue ;
- Réfléchir à des stratégies de prise en charge adaptée de ces différents citoyens et citoyennes en fonction de leurs besoins ;
- Réfléchir à des mesures pour que tous les citoyens wallons puissent disposer d’un ordinateur et d’une connexion internet à prix décent et bénéficier d’un accompagnement à l’usage des outils numériques ;
- Réfléchir à la possibilité de mettre en place un Service de premier accueil indépendant, qui servirait de relais entre ces personnes en difficulté d’accessibilité et les services de 1re ligne.
L’urgence est là car le train numérique et la digitalisation des services ne cessent d’avancer dans notre société et exclu toute une partie de la population fragilisée. Ouvrons nos agendas et mettons-nous au travail.
Témoignes de régionales wallonnes de Lire et Écrire
« D’emblée nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas laisser les gens, quand on a vu que ça risquait de se prolonger. (…) Il y a quand même beaucoup de notre public qui est isolé. Pour eux, ça a été une coupure totale avec le monde extérieur. Ça nous semblait important parce qu’on se rendait compte que les gens allaient être coupés de tout service. Ils étaient très contents qu’on prenne de leurs nouvelles, aussi. Simplement qu’on s’intéresse à eux, qu’on s’inquiète d’eux, qu’on les aide dans certaines démarches à certains moments parce qu’ils n’arrivaient pas à le faire parce que c’était (…)à réaliser en ligne. Je pense que c’était rassurant pour eux de savoir qu’on était toujours là » Lire et Écrire en Luxembourg
« Face aux situations de détresse et d’urgence dans lesquelles se retrouvent les personnes qui fréquentent nos formations d’alphabétisation et devant les grandes difficultés à trouver une réponse auprès des organismes et services publics qui ont stoppé ou restreint leur accueil en présentiel nos travailleurs.euses se retrouvent confronté.e.s non seulement à une surcharge de travail mais également exposé.e.s à une charge psychosociale et un stress liés à la préoccupation d’exercer un métier qui n’est pas le leur, de remplir correctement les différents documents / dossiers permettant aux personnes d’accéder à leurs droits. » Lire et Écrire en Wallonie Picarde
Une formatrice de Lire et Écrire Brabant wallon a dû contacter elle-même le numéro général d’un service de 1re ligne, car un de ses apprenants ne touchait plus d’allocation, le mettant dans une situation très délicate. Il avait d’abord tenté de contacter lui-même le service en question, mais il a parlé à plusieurs interlocuteurs qui avaient un discours différent. Il n’arrivait alors pas à suivre les procédures. Beaucoup de travailleurs sont donc face à des situations très complexes, voire dramatiques et non-habituelles suite aux problèmes vécus par les personnes. Lire et Écrire en Brabant Wallon
« Ce qu’on a remarqué depuis le confinement, c’est qu’il y a plein de services qui ferment, qui ne peuvent plus recevoir des gens en présentiel. Et en fin de compte, ce qui se passe, c’est qu’on renvoie les personnes, les apprenants, chez nous pour faire des tâches qui ne font pas partie de notre boulot. Certains formateurs se sont retrouvés à devoir aller chercher avec un apprenant des documents pour pouvoir constituer le dossier RIS à présenter. D’autres, ont dû téléphoner à la place de personnes d’origine étrangère car elles ne comprenaient pas la conversation et n’arrivait pas à prendre rendez-vous avec le Forem. » Régionale wallonne Lire et Écrire