Dès le lancement de la réforme, une grande concertation a été lancée par le cabinet Morreale auprès des partenaires sociaux. Lire et Écrire en Wallonie a d’une part contribué à l’amélioration du texte et d’autre part pointé les faiblesses du décret pour les personnes en difficulté avec la lecture et l’écriture lors d’une audition au Parlement wallon le 21/09/21. Malheureusement, malgré la reprise de certaines craintes dans la rédaction des amendements, force est de constater qu’aucune n’a été retenue. Le décret a été voté tel quel.
Les intentions de la réforme se veulent positives et visent l’amélioration de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Les questions sont moins sur le décret, qui a été voté, et ses intentions que sur son application. Et face à ça, qu’est-ce qu’un accompagnement de qualité pour tous en 2022 ? Le recours au tout numérique comme le prône la réforme ? Bien sûr que non !
Risques et revendications
Le choix prioritaire du numérique : un risque d’augmentation du non-recours aux droits
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À partir de maintenant, toute communication avec le Forem se fait prioritairement par voie numérique. Face à cette réalité, deux options : soit les personnes sont numériquement autonomes, soit ce n’est pas le cas et le demandeur d’emploi risque de se voir imposer la maitrise des outils numériques comme première priorité dans son plan d’action. Cette condition implicite de formation risque de conditionner son accès au suivi individuel, sans prendre en considération la personne, ses besoins et les aspects plus primordiaux qui entrent en ligne de compte dans son parcours vers l’emploi.
Le Forem laisse la porte ouverte au présentiel… sur demande explicite de la part du demandeur d’emploi. Le demandeur d’emploi en difficulté avec la lecture et l’écriture va-t-il oser demander explicitement un accompagnement en présentiel ?
- Le présentiel doit être la porte d’entrée pour tous et le passage vers le numérique sur demande explicite du demandeur d’emploi.
- Chaque personne doit avoir le droit de prétendre librement à un accompagnement en présentiel et sans peur d’une sanction.
- L’envoi des courriers officiels doit se faire par voie postale doublé d’un e-mail.
- Les communications officielles doivent préciser la possibilité d’avoir recours à un accompagnement en présentiel et ce tout au long du parcours d’insertion. Le droit à la rétractation et à la possibilité de changer de type d’accompagnement doit être précisé.
La logique d’évaluation avant l’écoute active : la disparition de la dimension « socio » de l’accompagnement
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À peine inscrit, le demandeur d’emploi est soumis à plusieurs évaluations destinées à objectiver son autonomie numérique, ses compétences, son positionnement métier et son degré de proximité du marché du travail. L’application concrète de l’objectivation est passée sous silence dans le décret.
- La première étape ne doit pas être l’évaluation mais bien la prise en considération de la personne, de ses besoins et d’autres aspects prioritaires liés à la santé, aux conditions de vie, etc. qui pourraient “passer à la trappe” faute d’une rencontre préalable avec la personne.
Le recours à l’Intelligence Artificielle (IA) : la porte ouverte à une déresponsabilisation du conseiller-référent
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Enjeu majeur dans le décret, le recours à l’IA est vu par le Forem comme un levier permettant de faire rencontrer l’offre et la demande : l’IA doit être utilisée comme un outil de soutien à la décision et pas l’inverse. Le plus grand danger face à ça, c’est que le conseiller s’efface au profit de la machine.
Par ailleurs, le peu de renfort en personnel prévu dans le décret amène une crainte supplémentaire.
- Le conseiller-référent doit garder la responsabilité des choix posés en prenant bien en compte les aspirations du demandeur d’emploi. L’IA ne doit être qu’un outil de soutien à la décision et rien d’autre.
- Garantir un climat de confiance et de respect mutuel entre le Forem et les partenaires de l’insertion en tenant compte de l’autonomie des opérateurs et des contraintes qui sont les leurs.
Le dossier unique : le refus du droit d’accès au demandeur d’emploi
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Au-delà du fait que l’insertion socioprofessionnelle n’est pas une affaire de « cases », une attention particulière doit être mise sur les modalités de transmission des informations choisies par le Forem. En tant qu’organisme d’insertion socioprofessionnelle, nous ne sommes pas au-dessus des lois RGPD. Nous ne pouvons pas tout communiquer sans l’accord des personnes que nous accompagnons. Nous ne souhaitons pas nous mettre en porte-à-faux par rapport à notre public et risquer de nuire à la relation de confiance qui est indispensable dans l’accompagnement que nous menons.
- Informer le demandeur d’emploi de la présence de ce dossier unique et de ses enjeux.
- Donner un droit d’accès permanent au demandeur d’emploi à son dossier unique.
- Garantir que les données fournies par les partenaires ne seront jamais utilisées à des fins négatives pour le demandeur d’emploi tant dans l’évaluation de son parcours que dans le contrôle de sa disponibilité.
Le tout numérique : une gifle pour les valeurs de l’accompagnement socioprofessionnel
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Pour les partenaires, cette modification amène la perte complète de la dimension « socio » de l’accompagnement socioprofessionnel : ils se retrouvent en difficulté autour de leurs méthodes et valeurs. Un accompagnement de qualité se fait avec une écoute active, un sens de la relation humaine, de l’empathie, du respect du temps, de la communication non verbale etc.
De plus, la mise de côté des Instances Bassins au profit d’une nouvelle instance sous-régionale pose question. Il ne faudrait pas, qu’à terme, cette position puisse aboutir à une dégradation importante des relations entre le Forem et les partenaires.
- Renforcer le rôle des Instances Bassins plutôt que de rajouter une énième couche de lasagne institutionnelle.