Lire et Écrire est un mouvement de lutte pour le droit à l’alphabétisation pour tous. C’est au titre d’opérateur que notre contribution au colloque organisé par l’Observatoire des politiques culturelles a été sollicitée autour de la question « Comment lire et comprendre les politiques et pratiques culturelles », et plus particulièrement des méthodes, outils, indicateurs… qui permettent d’alimenter cette connaissance et cette compréhension. Un enjeu transversal du colloque étant de réinterroger ce qui fonde ou refonde aujourd’hui les liens, les articulations entre cultures et démocratie. Au regard du thème de cet atelier, le fil conducteur de cette contribution est de témoigner de comment nous vivons et interrogeons la mise en œuvre des politiques publiques sur notre terrain d’action, en pointant plus particulièrement les indicateurs qui y sont mobilisés. C’est un regard non exhaustif, critique – qui inclut l’autocritique. Il vise à mettre en discussion des pistes d’action dont nous, acteurs culturels, pourrions nous emparer collectivement.
En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), l’alphabétisation désigne les pratiques de formation à la lecture, l’écriture, l’expression orale, les mathématiques… des adultes qui ne maitrisent pas, pas suffisamment ou plus les compétences de base équivalentes au Certificat d’étude de base (CEB). Ces personnes ont suivi une scolarité en FWB ou dans un autre pays, ou n’ont jamais été scolarisées dans leur pays d’origine. Elles sont francophones ou parlent une autre langue. Pour ces dernières, l’apprentissage démarre par le français oral. Lire et Écrire estime que 10 % [1] des adultes en FWB sont concernés par des difficultés importantes relatives aux savoirs de base.
L’alphabétisation, quelles qu’en soient les modalités d’action et le pouvoir public qui la soutient, est une pratique culturelle en soi. Apprendre à parler français, lire, écrire… agit bien sur l’organisation de la pensée, l’expression, la communication en interaction avec des réalités socioculturelles. Celles des apprenants, au travers de leurs parcours, mais aussi notre espace socioculturel partagé. Ce n’est pas un apprentissage qui est en dehors, en vase clos, c’est un apprentissage ancré dans la vie.
Reconnue comme mouvement dans le cadre du Décret relatif au soutien de la vie associative dans le champ de l’Éducation permanente, Lire et Écrire [2] s’organise en 9 régionales et 3 coordinations (wallonne, bruxelloise et communautaire). Outre les actions d’alphabétisation, nous développons des programmes de formation à destination des professionnels et volontaires du secteur, des analyses et études, des campagnes et autres actions de sensibilisation et du lobbying politique pour une meilleure prise en compte de la question de l’analphabétisme et des personnes qui y sont confrontées.
Les régionales wallonnes sont aussi reconnues dans le cadre des politiques régionales d’insertion socioprofessionnelle et la régionale bruxelloise dans le cadre des politiques régionales de cohésion sociale.
Bien qu’à la croisée de plusieurs politiques publiques, c’est au travers du référent commun d’« alphabétisation populaire » que nous menons nos missions, soit une alphabétisation qui dès le début et tout au long du processus (…) fait de l’apprentissage (…) un outil d’expressions sociale, de prise de parole, de pouvoirs sur sa vie, son milieu et son environnement (…)
.
Politiques publiques et enjeu de démocratie culturelle
La définition internationalement [3] usitée de l’alphabétisation est une définition relative à un socle de savoirs de base que nous jugeons a minima nécessaire pour fonctionner pleinement dans une société donnée. En FWB, jusque dans les années 1970, l’analphabétisme d’une partie de la population, essentiellement ouvrière et sous-prolétaire, ne constituait pas une problématique sociale digne d’attention. La qualification d’une partie de la main-d’œuvre ne nécessitait jusque-là pas/peu de compétences de lecture et d’écriture. Seules les associations immigrées et les mouvements ouvriers s’y intéressaient.
Notre société se caractérise, entre autres choses, par un recours grandissant à l’écrit et à une complexification des formes de l’écrit. Les organisations internationales et européennes ne s’y trompent pas et considèrent actuellement qu’il faut a minima des compétences équivalentes à celles habituellement atteinte à la sortie du secondaire inférieur pour ne pas rester en marge de l’évolution de la société. Cette évolution a pour effet concret un élargissement important des populations pouvant être considérées comme en risque important d’analphabétisme [4]. Pour donner un ordre de grandeur, en FWB, selon qu’on utilise l’indicateur CEB ou secondaire inférieur, on passe d’une estimation de 300 000 adultes à 700 000 personnes analphabètes. Un autre effet de ce changement d’« indicateur de l’analphabétisme » est la disparition progressive dans les statistiques publiques de la catégorie des adultes ne maitrisant pas les langages fondamentaux, et donc des possibilités de pilotage politique de cette question.
Que fait-on, politiquement, du constat de la persistance de l’analphabétisme dans nos sociétés démocratiques ? Quelles ressources collectives sont allouées pour en combattre les causes et les conséquences ? Qu’elles sont les moyens mis en œuvre pour permettre à chaque adulte en difficulté de lecture et d’écriture d’accéder à une offre de formation de qualité ? Comment les spécificités des personnes analphabètes sont prises en compte dans les différentes politiques publiques ?
En FWB, 3 aspects me paraissent pouvoir utilement être soulignés :
- Il y a eu, fin des années 1990, une réelle prise de conscience, par différents acteurs politiques, de l’enjeu de l’alphabétisation. Celle-ci s’est traduite par une augmentation importante des moyens affectés aux acteurs d’alphabétisation, portant tant sur la multiplication de l’offre de formation que sur la professionnalisation du secteur [5]. L’offre reste cependant encore structurellement insuffisante par rapport à la demande, et plus encore aux besoins. Sur base d’une enquête menée en 2010 par Lire et Écrire, plus de 5 000 demandes de formation recensées n’ont pu aboutir faute de places disponibles dans un dispositif adéquat, soit 1 demande sur 4. Entre l’offre du secteur, les besoins potentiels et la demande exprimée, la tension est importante.
- Le secteur de l’alpha est à la croisée de 15 politiques publiques belges. Cela correspond à la fois à une évolution historique du secteur et à une évolution institutionnelle de la Belgique, mais aussi à une vision volontairement transversale du déploiement de l’offre d’alphabétisation, au plus proche des personnes et de la multiplicité des « portes d’entrée » qu’elles mobilisent pour passer le pas de la formation (citoyenneté, travail, insertion socioprofessionnelle, parentalité, santé…) Un accord de coopération a été conclu en 2005 [6], visant la coordination de ces politiques. Le pilotage politique de celui-ci a été attribué au ministre-président de la FWB et le pilotage opérationnel à l’administration de la Culture. Au niveau européen, le choix politique a été de déplacer l’éducation non formelle – dont l’alphabétisation relève – de la DG Culture à la DG Emploi. Ce déplacement est directement lié à la crise financière.
- Sous l’influence croissante des politiques d’activation [7] (chômage, revenu d’intégration sociale…) et de réduction des dépenses publiques, force est de constater, du point de vue de nombreux opérateurs, l’affaiblissement de la visée d’émancipation individuelle et sociale de l’alphabétisation et l’instrumentalisation croissante de celle-ci dans le cadre de logiques d’adaptation et de contrôle social. L’entrée en formation, le maintien et l’assiduité en formation, le niveau de compétence atteint en fin de formation… deviennent des indicateurs de maintien ou non des personnes dans leurs droits sociaux antérieurement acquis ou dans l’acquisition de nouveaux droits. Là encore des choix politiques sont à l’œuvre… explicite ou implicite.
Lire et Écrire, comme c’est le cas de nombreux autres opérateurs associatifs en FWB, inscrit son action dans une perspective d’émancipation individuelle et collective.
Les difficultés de lecture et d’écriture que connaissent les personnes en situation d’analphabétisme ne sont pas des problèmes de « déficiences » individuelles mais sont le produit d’une trajectoire marquée par l’appartenance à des groupes sociaux dominés et/ou exclus. L’analphabétisme a partie liée avec le (dys)fonctionnement de l’enseignement obligatoire, du marché du travail, les phénomènes migratoires, la pauvreté, les rapports sociaux de sexe…
L’accès à la ressource culturelle qu’est l’alphabétisation est pour nous un droit fondamental, un droit qui a ceci de particulier qu’il marque de manière très significative l’exercice de tous les autres droits – y compris culturels (dans le sens des pratiques d’expression culturelle, de l’accès aux productions et œuvres culturelles), y compris politiques que ceux-ci s’exercent dans des pratiques de démocratie représentative ou participative.
Parler d’émancipation, c’est prendre acte de l’existence de rapports sociaux de domination et/ou de relégation sociale et/ou de hiérarchisation-distinction sociale. Ces rapports inégalitaires, quelle que soit la manière dont on les nomme, ont des effets concrets sur les individus, les groupes sociaux et la « santé » de notre démocratie.
L’idée que la culture et les pratiques culturelles soient en dehors de toutes conflictualités sociales et que la culture soit « naturellement » émancipatrice est au mieux une illusion, voire une invention qui a pour effet de renforcer la position des cultures légitimées ou dominantes.
Ce « long » détour sur des éléments généraux de l’alpha m’a paru nécessaire pour donner un peu de consistance au sens du mot « émancipation », pour préciser à la fois les enjeux actuels de l’alphabétisation et nos propres « référents » culturels à Lire et Écrire. Comme vous pouvez le constater, ils se situent du côté de ceux de la démocratie culturelle.
Se questionner sur la pertinence actuelle du « cadre de référence » de la démocratie culturelle est pour nous un étonnement, et en ce qui me concerne, une source d’inquiétude sur ce qui nourrira, alimentera demain notre espace démocratique commun. En effet, ce questionnement se pose au moment où se multiplient les règles et les contrôles sur les catégories sociales les plus touchées par la relégation sociale. Ce contrôle social s’accompagne d’une prolifération d’outils de « screening » écrits, à destination même des groupes sociaux qui ont la plus forte probabilité d’être concernés par l’analphabétisme en raison de leur parcours social. La complexité de notre organisation institutionnelle et le déficit de lisibilité des débats politiques sur les enjeux qui font sens et importance pour les personnes les plus exclues renforcent cette dynamique d’affaiblissement démocratique, dans le sens de la participation de tous à la « chose publique ».
En tant qu’opérateur d’alphabétisation, nos interrogations principales, nombreuses, se situent plutôt du côté du comment faire ? Comment, concrètement, aujourd’hui, renforcer les dimensions émancipatrices de l’apprentissage des compétences de base ? Ceci m’amène à partager avec vous la piste de travail suivante :
- viser l’émancipation dans, par et avec la culture nécessite – à mon sens – que les acteurs culturels que nous sommes se posent collectivement la question des conditions nécessaires pour que les pratiques culturelles soient créatrices d’espaces permettant, y compris aux personnes en difficulté de lecture et d’écriture, de s’inscrire dans un processus de transformation – tant au niveau individuel que collectif ? Ou, formulée autrement, comment construire et mener des politiques et pratiques culturelles qui d’une part ne participent pas à la disqualification sociale des personnes les plus mises en « marge » de la société et d’autre part ouvrent des espaces de construction de la parole, de l’imaginaire, de la création et du changement social ?
Apporter des réponses partagées à ces questions a priori « simples » est à mon sens de nature à nous alimenter sur des références communes non pas uniquement sur l’alpha mais je pense plus largement sur de nombreuses pratiques culturelles en milieux populaires et sur la place que nous leur accordons dans les politiques culturelles.
L’utilisation du vocable « participation culturelle », qui semble-t-il provient d’une typologie standardisée au niveau européen pour classer à la fois les centres culturels, les associations d’éducation permanente et de jeunesse, ne me semble pas très pertinent pour prendre en compte les enjeux liés à la démocratie culturelle. Cet intitulé masque des dimensions importantes, dont celles des capacités d’expression et de production culturelles propres des personnes les « plus éloignées des lieux institués de la culture », et de la capacité de ces lieux à ouvrir des espaces culturels partagés.
Comprendre des pratiques culturelles ?
Comment donner à voir et objectiver à travers des référentiels, des typologies, des indicateurs, des chiffres… des pratiques d’alphabétisation populaire ? Cette question nous est de plus en plus fréquemment posée par différents pouvoirs publics (et nous en avons de nombreux en alphabétisation), sous différentes formes et modalités. Souvent cette question nous laisse très, très perplexes et est parfois une source de conflictualité importante, tant à l’interne de notre organisation que dans nos relations avec différents acteurs publics et politiques.
Dans le cadre de cette contribution, je vais tenter d’expliciter deux préoccupations majeures.
Premier constat, il est de plus en plus difficile d’avoir une réponse claire à trois questions qui nous semblent pourtant très basiques : qui veut objectiver ? quoi ? et pour quoi ?
Le pour quoi, l’objectif poursuivi, est-il le contrôle ? Est-ce à dire que les dispositifs existants de contrôle des activités et des financements ne sont pas suffisants ? L’objectif est-il de mieux connaitre et comprendre les phénomènes de l’analphabétisme, les pratiques autour de cette question ? Est-ce de l’évaluation, au sens que je mets à évaluation, c’est-à-dire porter un jugement circonstancié basé sur des analyses croisées et partagées par les acteurs concernés [8] permettant de dégager de nouvelles modalités d’actions, de nouvelles orientations, qu’elles soient politiques, pédagogiques, partenariales, etc. ? À cette confusion de trois objectifs, j’en rajoute un 4e qu’on sent de plus en plus prégnant : est-ce que l’objectif poursuivi est une re-répartition des moyens publics soit entre opérateurs, soit entre sous-secteurs de la culture, ou entre secteurs culturels et d’autres secteurs comme l’insertion professionnelle par exemple ?
Que la question porte sur un objectif de contrôle, de connaissance, d’évaluation ou de réorientation des moyens sur des actions ou secteurs prioritaires, aucune de ces quatre questions n’est a priori taboue pour de nombreux opérateurs, dont Lire et Écrire. Évidemment la dernière, celle de la réaffectation des moyens, est la plus difficile. Elle renvoie d’une part à des arbitrages politiques sensibles dans un cadre de budgets publics particulièrement étriqués, et d’autre part, du côté des opérateurs, à une réalité de grande fragilité financière pour maintenir l’existant dans un contexte où les besoins dépassent la capacité d’offre.
La question du « qui demande à voir » apparait, elle aussi, de plus en plus complexe. À mon niveau – mais je ne pense pas être la seule – je constate que des administrations semblent vivre de plus en plus sous la pression de devoir justifier ce à quoi servent les financements publics. Le cadre légal et les dispositifs de contrôles et de rapports d’activité ne semblent plus suffisants. Au-delà de nos interlocuteurs directs, il devient difficile d’identifier quel est le commanditaire initial : est-ce une recommandation européenne, est-ce une décision politique, est-ce une décision de l’administration, et à quel niveau… ?
Dans ce contexte d’objectif flou, la question du « quoi » semble inépuisable… La quantité d’informations à fournir aux différents pouvoirs publics est en croissance soutenue. Les moyens humains et financiers nécessaires à leur production sont autant de moyens qui ne peuvent être affectés à nos missions de base d’alphabétisation.
Tout savoir, en temps réel, de ce qui se passe dans chaque association est impossible. Réduire des pratiques culturelles complexes et leurs impacts individuels et collectifs à une série d’indicateurs quantitatifs l’est tout autant.
Une autre tendance forte est la réorientation perceptible du questionnement des pouvoirs publics vers les pratiques pédagogiques des opérateurs. Sur les pratiques pédagogiques en alphabétisation, nous assistons souvent à une incompréhension profonde, tant les référents entrent en tension. Pour tout un chacun, le cadre de référence pédagogique que nous mobilisons pour nous construire une représentation de l’apprentissage du français, de la lecture et de l’écriture est le cadre scolaire, et plus particulièrement de l’école primaire ou, pour l’apprentissage d’une langue étrangère, du secondaire. Ce cadre de référence pédagogique scolaire est celui-là même qui produit un « contingent » d’adultes analphabètes… C’est donc bien ce cadre-là qu’il s’agit de ne pas reproduire en alpha… mais c’est bien parfois à partir de celui-là que nous sommes « invités » à nous évaluer.
N’avoir ni de réponse aux trois questions – Qui ? Quoi ? Pour quoi ? – ni de travail d’explicitation des cadres de référence s’apparente pour nous au mieux à une perte d’énergie collective, au pire à un jeu de dupes.
Un autre point de préoccupation important, c’est la mise sous pression d’une association comme la nôtre pour qu’elle fasse pression sur les apprenant-e-s pour qu’ils nous livrent toute une série de données à la fois sur leur profil et sur l’impact que l’alpha a sur eux. Nous travaillons avec des personnes qui font l’objet de nombreuses politiques d’activation – en matière de chômage et de revenu d’insertion principalement – et qui sont donc régulièrement interrogées sur ce qu’elles font et ce qu’elles ne font pas, pourquoi elles le font, comment elles le font, quand, avec qui… ?
Au niveau de la politique culturelle d’Éducation permanente, on n’est pas dans cette logique-là.
Cependant, tout récemment, c’est par le biais de projets cofinancés par le Fond social européen que la question s’est posée. Plusieurs opérateurs culturels se voient confrontés à l’exigence de récolter auprès des personnes « bénéficiaires » toute une série de données personnelles à caractère sensible telles que la composition de ménage, si elles sont ex-détenues, si elles sont sujettes à des assuétudes… L’injonction est claire : sans récolte individuelle et nominative, pas de financement. L’objectif est explicite aussi : vérifier que les fonds européens arrivent bien aux bénéficiaires finaux – c’est-à-dire les publics les plus en difficulté. Plus surprenant, la mesure est aussi d’application pour les travailleurs du secteur de l’alphabétisation qui suivent des formations continuées cofinancées par les fonds européens, ce qui re-questionne grandement l’objectif explicité : « cibler les publics les plus en difficulté ». Lire et Écrire, comme de nombreuses autres associations et organisations sectorielles, a interpellé la Commission de la vie privée, dont nous attendons l’avis.
Il y a vraiment quelque chose de l’ordre de l’indécence et de la violence institutionnelle à demander, à exiger des plus « pauvres » qu’ils justifient par des données personnelles et biographiques le droit à accéder à un dispositif d’alphabétisation. Si on transpose à d’autres politiques culturelles, cela reviendrait à demander à des personnes qui assistent à une pièce de théâtre ou qui fréquentent un musée leur curriculum biographique pour justifier qu’ils peuvent bien bénéficier de cette ressource culturelle, de les exclure en fonction de leur statut, et par la suite de leur demander d’expliquer l’impact qu’a eu la pièce ou la vue d’un tableau sur eux.
Est-ce à dire que nous nous désintéressons de la question des indicateurs qui permettent de voir, comprendre, évaluer des pratiques culturelles qui mobilisent un volume important de financements publics ? Non, certainement pas. Ce qui nous occupe plus particulièrement, ce sont :
- les méthodes, outils et indicateurs qui permettent d’appuyer les pratiques de terrain d’alphabétisation populaire, autour de questions telles que celle de la construction des articulations concrètes entre processus d’émancipation individuelle/collective et didactique des apprentissages linguistiques, celle des indicateurs mobilisés par les apprenants dans les dynamiques d’autoévaluation…
- l’évaluation de l’impact (quantitatif et qualitatif) des politiques publiques sur l’offre d’alphabétisation et sur les personnes en difficulté avec les savoirs de base. Il est à relever que les seuls chiffres dont nous disposons en FWB sur la question de l’analphabétisme sont ceux relatifs à l’offre de formation. Ceux-ci ont été produits, sur base volontaire, pendant 20 ans, par les acteurs associatifs de l’alphabétisation au travers d’une enquête menée annuellement et pilotée par Lire et Écrire. Cette mission est maintenant reprise par le Comité de pilotage sur l’alphabétisation, qui regroupe des représentants des opérateurs et les principales administrations et cabinets concernés [9]. À ce titre, cet espace de travail est un levier particulièrement important pour le pilotage d’une politique publique d’alphabétisation et de prise en compte des personnes analphabètes.
Deux grandes « données inconnues » continuent cependant à nous préoccuper particulièrement : l’absence d’étude sur les niveaux de maitrise des savoirs de base des adultes en FWB et de mesure de l’impact des politiques d’activation sur les personnes analphabètes.
En guise de conclusion, on ne peut donner à voir et à comprendre que s’il y a une volonté de voir et comprendre. Autrement dit, l’objectivation de toute une série de données ne peut remplacer le choix politiques de prendre en compte – ou pas – la question sociale de la persistance de l’analphabétisme.
Sylvie Pinchart,
Lire et Écrire Communauté française, 2017.