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Le Code de la nationalité de 2012 (II)

Une politique de l’État social actif

L’objectif affiché de cette réforme du Code de la nationalité (loi du 4 décembre 2012 modifiant le Code de la nationalité belge [1]) est de rendre son acquisition « neutre du point de vue de l’immigration » selon l’intitulé même de la loi, c’est-à-dire qu’un étranger ne peut prétendre à l’obtention de la nationalité belge qu’à partir du moment où il jouit d’un statut de séjour stable sur le territoire. La nationalité ne peut en aucun cas constituer un moyen d’obtenir un titre de séjour ou de consolider le statut administratif de l’étranger. [2] Dans les faits (est-ce son objectif caché ?), elle limite drastiquement le nombre de « nouveaux » belges en sélectionnant ceux qui se trouvent en bonne place dans l’échelle socio­économique et peuvent apporter de la « valeur ajoutée » [3] à la société belge. Ce qui n’est pas sans nous rappeler le programme officiel de l’ex-président Sarkozy qui entendait substituer l’immigration « choisie » à l’immigration « subie »…

Sylvie-Anne Goffinet – Lire et Écrire Communauté française
5 janvier 2015
(rédaction adoptant les rectifications orthographiques de 1990)

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Voir la première partie de l’analyse.

Bref historique

Le code de la nationalité a connu plusieurs remaniements au cours de l’histoire. La loi du 28 juin 1984 marque un tournant dans l’orientation de la législation, tournant qui se manifeste par un assouplissement des conditions d’acquisition de la nationalité belge :

  • Les lois du 28 juin 1984 et du 13 juin 1991 assouplissent l’accès des mineurs à la nationalité.
  • La loi du 1er mars 2000 élargit considérablement l’accès à la nationalité pour les personnes majeures en supprimant la limite d’âge (auparavant fixée à 30 ans) et la condition d’être né en Belgique (remplacée par deux conditions : y avoir sa résidence principale depuis au moins sept ans et être autorisé à y séjourner pour une durée illimitée). Avec cette nouvelle loi, la nationalité est perçue comme une étape de l’intégration.

La loi du 4 décembre 2012 marque un réel retour en arrière par un durcissement des conditions d’accès. [4]

Contexte politique et économique

En Belgique, les lois sont la plupart du temps le résultat d’un compromis variable selon l’échiquier politique du moment. Ainsi, concernant la loi du 1er mars 2000 : Le choix du gouvernement et de la majorité parlementaire, à l’automne 1999, d’assouplir une nouvelle fois les conditions d’accès à la nationalité belge (…) s’explique par le refus des libéraux flamands (…) d’octroyer les droits de vote et d’éligibilité pour les élections communales aux ressortissants d’États non membres de l’Union européenne et la volonté d’autres partis de la majorité d’obtenir des droits politiques pour ces ressortissants. (…) Plus encore, certains partis de la majorité, particulièrement les écologistes et les socialistes francophones, ont voulu que l’assouplissement de l’accès à la nationalité marque ses effets avant les élections communales d’octobre 2000 afin que de nouveaux électeurs puissent y prendre part. [5]

Au niveau économique, les années 1984-1990 correspondent à une époque où l’on considère comme impossible de maintenir à l’écart de l’ordre national des populations résidant en Belgique depuis plus de 30 ans et encore moins leurs enfants. Les assouplissements de la loi résonnent comme une concession nécessaire à faire aux immigrés des années 60-70 pour leur contribution au développement économique de la Belgique. [6] C’est alors, selon Andrea Rea, l’image de l’immigré « productif » qui est dominante.

En 2012, la situation est tout autre. La loi du 4 décembre 2012 marque un véritable retour en arrière. Déjà en avril 2010, le gouvernement Leterme avait approuvé un avant-projet de loi dont l’objectif était celui qu’on retrouve dans la loi de 2012 : Rendre plus neutre en termes migratoires l’obtention de la nationalité. Cette notion apparaissait donc déjà… Dans les débats qui ont précédé l’adoption de la nouvelle loi, il y avait vraiment deux visions idéologiques de l’intégration qui s’opposaient : une vision progressiste de gauche qui dit qu’acquérir la nationalité permet de mieux s’intégrer parce que c’est le début de quelque chose et une vision conservatrice, disons de droite, et qui était aussi la thèse du côté néerlandophone, selon laquelle l’acquisition de la nationalité constitue le terme du processus d’intégration. [7] C’est la thèse défendue par la droite et les néerlandophones qui l’a emporté. Et le groupe PS à la Chambre, considérant qu’il fallait simplifier la procédure et que la responsabilité d’un homme politique impose aussi d’entendre le malaise qui existe sur ces questions [8] a également voté ce texte… Selon Le Soir, outre une volonté commune de « rendre plus neutre en termes migratoires l’obtention de la nationalité », une autre exigence n’a guère été discutée : celle de la connaissance d’une des langues nationales comme preuve de la volonté d’intégration. [9]

Si l’on revient à l’analyse d’Andrea Rea, depuis le début des années 2000, l’image dominante de l’étranger a changé, elle est devenue celle de l’immigré improductif, ou plutôt de l’immigrée improductive, l’épouse d’un pays tiers qui rejoint son époux, belge ou non. Cette personne est perçue comme une immigrée qui va jouir indument des « largesses » de l’État social. Depuis le vote de la nouvelle loi relative au regroupement familial de 2011, on assiste à une double inversion : réduction des droits et leadership des partis flamands sur cet agenda politique. Les gouvernements adhèrent à l’idée que les nouvelles migrations doivent être réduites au maximum, surtout pour l’immigration « subie » (regroupement familial et demande d’asile), empruntant de la sorte la voie restrictive hollandaise. Tout étranger qui risque de dépendre des transferts sociaux (chômage, aide sociale, assurance maladie…) n’est plus le bienvenu dans la communauté nationale. La logique de la responsabilisation de l’État social actif est passée par là, contre le droit de vivre en famille. [10] Rien d’étonnant dès lors que les exigences posées à l’accès à la nationalité se soient considérablement durcies. C’est la logique du mérite qui l’emporte ici, comme dans d’autres secteurs (le chômage, l’aide sociale…), sur la logique des droits, caractéristique clé de l’État social actif. Et sachant que dans le gouvernement actuel c’est Theo Francken, N-VA, qui est secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, on peut craindre le pire pour les années à venir… Le même Theo Francken qui, alors député, déclarait en octobre 2012 que la proposition de loi permettait de réparer une erreur du gouvernement Verhofstadt (1er ministre du gouvernement arc-en-ciel lors du vote de la loi du 1er mars 2000). Le même qui, à peine désigné comme secrétaire d’État, est aujourd’hui critiqué pour ses propos racistes et homophobes.

Entre 2000 et 2012, on a donc assisté à une « inversion de philosophie ». En 2000, le balancier penchait vers une ouverture plus large de la nationalité pour favoriser l’intégration. Aujourd’hui, c’est l’inverse : on veut restreindre les conditions d’octroi au nom de l’intégration. [11]

La volonté commune de rendre la loi « neutre », c’est-à-dire de mettre fin à un hypothétique appel d’air [12] pour des personnes étrangères qui voudraient utiliser l’acquisition de la nationalité comme une porte d’entrée sur le territoire, a ouvert une brèche qui a abouti à une inversion de la philosophie politique relative à la nationalité. Si les réformes qui ont eu lieu de 1984 à 2000 visaient, comme nous l’avons vu, un assouplissement des conditions d’accès, la loi de 2012 va dans un sens diamétralement opposé, d’une part en durcissant ces conditions d’accès et d’autre part en inversant la logique du lien entre nationalité et intégration. [13] En exigeant dorénavant des candidats à la nationalité qu’ils remplissent des critères d’intégration linguistique, sociale et économique, la loi du 4 décembre 2012 revoit en profondeur la philosophie sous-tendant le Code. Auparavant, on présumait la volonté d’intégration dès lors que l’étranger sollicitait l’acquisition de la nationalité belge, et que cette intégration en résulterait. La nationalité était considérée non pas comme l’aboutissement d’un processus d’intégration mais bien comme un moyen d’intégration des ressortissants étrangers. Cette logique est dorénavant inversée : l’acquisition de la nationalité belge est désormais considérée comme l’aboutissement du processus d’intégration. L’étranger souhaitant acquérir la nationalité belge devra par conséquent prouver qu’il remplit certains critères d’intégration. [14]

Notons au passage que le gouvernement Michel prévoit par ailleurs d’adapter les conditions permettant la déchéance de la nationalité. [15]

La question des antériorités

Puisque la nouvelle loi inverse le rapport entre accès à la nationalité et intégration, il nous parait opportun d’analyser ce lien, ainsi que celui entre langue et intégration qui est au cœur de notre problématique en alphabétisation.

Antériorité de l’intégration sur la nationalité ?

Poser la question de l’antériorité de l’intégration sur la nationalité revient à se poser la question inverse : l’acquisition de la nationalité favorise-t-elle l’intégration, comme le présupposait la loi de 2000 ?

Lors du forum Nationalité organisé en avril 2014 par l’asbl Objectif [16], des personnes inscrites en formation d’alphabétisation ou de français langue étrangère ont pu poser leurs questions et dire ce que l’acquisition de la nationalité représentait pour elles. En sont notamment ressortis :

  • Pour trouver du travail, c’est plus simple ; certains métiers deviennent accessibles (police, sécurité, les fonctions décisionnelles).
  • Plus grande facilité à se déplacer dans le monde avec un passeport européen : voyage sans visa dans de nombreux pays et moins de file d’attente dans les aéroports (guichet européen).
  • Avantages pour les enfants.
  • Possibilité de prendre part à la vie politique du pays : pouvoir voter, se présenter aux élections.
  • L’obtention de la nationalité ouvre des droits.
  • Meilleure accessibilité au logement social.
  • Avantages économiques : on paie plus dans les banques lorsqu’on n’a pas la nationalité.
  • Pour les papiers : ça facilite les procédures (sinon, ça coute cher !).

L’emploi, le logement, la scolarité des enfants, la participation politique sont donc des domaines dans lesquels les personnes immigrées espèrent des retombées positives suite à l’acquisition de la nationalité. Mais qu’en est-il exactement ? Nous développons ci-après le cas de l’emploi, de la scolarité des enfants et de la participation politique, trois domaines d’intégration particulièrement sensibles pour Lire et Écrire.

L’emploi

Dans un article publié dans Migrations Magazine [17], Altay Manço (IRFAM) dit que l’acquisition de la nationalité n’est pas en soi un facteur automatique d’accès à l’emploi même s’il semble qu’elle le facilite, notamment parce que les discriminations directes et systémiques à l’emploi persistent en Belgique, et ce même pour les deuxième et troisième générations issues d’immigrés, des enfants pour la plupart nés et formés en Belgique . Et de fournir les données suivantes tirées du rapport final des Assises de l’inter­culturalité qui ont eu lieu en 2010 [18] : Près de quatre adultes sur dix d’origine marocaine, turque, algérienne ou congolaise sont sans travail. Dans certains quartiers, notamment à Bruxelles, où ces minorités sont très fortement représentées, le taux de chômage dépasse les 50 %. Dans le même temps, 10 % des actifs sont sans emploi parmi la population d’origine belge, mais 16 % parmi les Belges nés étrangers.

Le rapport des Assises de l’interculturalité poursuit quant à lui : On assiste à ce qu’on appelle une « ethnostratification » du marché de l’emploi : les personnes d’origine européenne sont surreprésentées dans les segments supérieurs (le marché primaire) alors que celles qui sont issues de l’immigration non européenne (qu’ils possèdent ou non la nationalité belge) se concentrent davantage dans les segments inférieurs (le marché dit secondaire). En comparaison avec le marché primaire, ce marché secondaire se caractérise par un risque de chômage plus élevé, des salaires plus bas, de moins bonnes conditions de travail et une plus grande précarité de l’emploi. Autrement dit, les adultes issus de minorités ethniques ou culturelles ont souvent non seulement plus de mal à trouver du travail, mais aussi à le garder. [19]

Par ailleurs, une étude de de l’Université d’Anvers [20], réalisée sur base de données datant d’avant la loi de décembre 2012 (époque où l’acquisition de la nationalité était encore considérée comme devant favoriser l’intégration), se révèle particulièrement intéressante pour mesurer l’impact de l’acquisition de la nationalité sur l’emploi, les conditions mises actuellement à l’acquisition constituant un filtre qui ne permet plus de mesurer correctement cet impact.

Cette étude montre que, contrairement aux personnes originaires de pays occidentaux pour lesquelles les chances de décrocher un emploi ne sont pas favorisées par l’acquisition de la nationalité belge, les personnes originaires de pays non occidentaux ont une probabilité d’emploi supérieure si elles ont acquis la nationalité belge, particulièrement les femmes. Cette probabilité n’est pas affectée par la durée de résidence en Belgique. Les auteurs précisent néanmoins qu’il est difficile d’isoler acquisition de la nationalité et durée de résidence étant donné qu’elles sont fortement corrélées. Ils précisent également qu’une relation entre ces deux variables ne signifie pas pour autant qu’il y ait un lien de causalité entre elles, même si ce lien leur apparait comme tout à fait plausible.

Observed employment rates by origin groups for gender and citizenship acquisition, population 25-64y, 2008
males females all
Belgian citizenship no Belgian citizenship Belgian citizenship no Belgian citizenship Belgian citizenship no Belgian citizenship
Belgium 0.782 0.755 0.649 0.590 0.715 0.680
EU15 0.701 0.753 0.506 0.592 0.575 0.676
EU12 0.719 0.887 0.514 0.529 0.578 0.695
North America 0.714 0.931 0.500 0.406 0.615 0.656
Total Western born immigrants 0.703 0.770 0.507 0.580 0.576 0.678
Non EU Europe 0.627 0.586 0.366 0.288 0.489 0.431
North Africa 0.629 0.475 0.269 0.202 0.457 0.345
sub-Sahara Africa 0.751 0.610 0.595 0.404 0.659 0.507
South America 0.774 0.743 0.606 0.435 0.657 0.538
Asia 0.724 0.690 0.557 0.285 0.636 0.481
Total non-Western born immigrants 0.672 0.578 0.438 0.295 0.547 0.434
Source: Labour Force Survey, 2008, own calculations.

La prise en compte de variables supplémentaires – le sexe, l’âge, l’état civil, la présence d’enfants, le niveau d’instruction, la région de résidence en Belgique et la région d’origine – nuancent les résultats obtenus initialement. Ainsi, avec le contrôle de ces variables, parmi les personnes d’origine non occidentale, seuls les Africains du Nord et les Américains du Sud ont encore une chance plus élevée de trouver un emploi s’ils ont acquis la nationalité belge. Ce n’est par contre plus le cas pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, d’Asie et d’Europe hors Union européenne (principalement les Turcs).

Le tableau suivant approfondit quant à lui l’analyse par la prise en compte du type d’emploi : emploi à durée indéterminée (partie A) et emploi dans le secteur public (partie B). Les résultats obtenus montrent que les personnes non occidentales ayant acquis la nationalité belge ont plus de chances de trouver un emploi à durée indéterminée, particulièrement les hommes, que ceux qui ne l’ont pas acquise. Quant à l’emploi dans le secteur public (partie B), l’effet est nettement moindre, bien qu’il soit néanmoins significatif, selon les auteurs qui précisent que l’emploi public concerne un large secteur d’activités ne requérant officiellement pas toutes la nationalité belge.

Probability of employment with permanent contract (A) and public employment (B), by origin (Western and non-Western) and sex, marginal effect of probit regression, 2008
(A)
Western countries of origin Non-Western countries of origin
all male female all male female
ysm 0.005** 0.005 0.004 0.005* 0.000 0.009**
ysm2 -0.000** -0.000* -0.000* 0.000 0.000 -0.000*
BE citizenship 0.029 0.066 0.012 0.106*** 0.113*** 0.085***
(B)
Western countries of origin Non-Western countries of origin
all male female all male female
ysm -0.001 -0.001 -0.001 0.000 -0.002 0.002
ysm2 0.000 0.000 0.000 0.000 0.000* 0.000
BE citizenship 0.071*** 0.140*** 0.023 0.026** 0.029* 0.020
ysm = years since migration ; ysm2 = squared years since migration (élevé au carré)
* p<0.05,>
Only marginal effects for migrant-specific characteristics are presented, controlled for sex, age, civil status, household composition, education and regional characteristics.
Source : Labour Force Survey, 2008, own calculations.

Les auteurs n’excluent pas dans leur analyse les effets psychologiques que peuvent avoir tant sur les employeurs que sur les chercheurs d’emploi le fait, pour ces derniers, d’avoir acquis la nationalité belge. Pour les employeurs, cette acquisition peut signifier un engagement de la personne d’origine étrangère à l’égard du pays d’accueil et par voie indirecte dans son futur job ; pour le chercheur d’emploi, cette acquisition peut renforcer sa motivation et, de ce fait, jouer sur l’intensité et le succès de sa recherche.

Malgré les résultats positifs de leur étude (relation positive statistiquement significative entre acquisition de la citoyenneté et chances d’avoir un emploi), les chercheurs soulignent dans leur conclusion que l’accès au marché du travail des personnes d’origine non occidentale reste très problématique. Et alors qu’aujourd’hui l’acquisition de la nationalité est rendu plus difficile, notamment par les exigences strictes en matière d’emploi et d’intégration sociale (en partie liées à l’emploi) introduites en 2012, on ne peut que penser que l’accès à l’emploi risque de devenir plus problématique encore à l’avenir.

La scolarité des enfants

Revenons à l’article d’Altay Manço [21] qui dit que sans être essentiellement différente de celle des enfants défavorisés belges, la situation, face à l’école, des enfants issus des vagues récentes de l’immigration en Belgique est préoccupante, car les situations d’échec sont plus aigües.

Les données issues des enquêtes PISA montrent des différences entre les élèves issus de l’immigration et les élèves autochtones. Ainsi le graphique qui suit [22] montre les différences de résultat des élèves (de 15 ans) en mathématiques au dernier test PISA (2012) – qui avait les mathématiques comme domaine majeur d’évaluation – suivant qu’ils sont immigrés de 1re génération, 2e génération ou autochtones, résultats classés selon les 6 niveaux de performance établis par l’OCDE.

Proportion d’élèves par niveau de compétence en mathématiques selon la catégorie d’immigration, PISA 2012

Tant en Flandre qu’en Fédération Wallonie-Bruxelles, les résultats des élèves issus de l’immigration sont inférieurs à ceux des élèves autochtones, même si les différences sont moins marquées en FWB qu’en Flandre. En FWB, les scores moyens sont de 446 points pour les secondes générations, de 469 points pour les premières générations et de 507 points pour les autochtones.

Alors que la différence entre la 1re et la 2e génération n’apparait (quasi) pas en Flandre, elle apparait nettement en FWB où l’effet de la variable « origine immigrée » s’estompe avec la durée de présence en Belgique.

Par ailleurs, comme le montre le graphique suivant [23], depuis PISA 2006 (3e enquête PISA), les écarts entre élèves immigrés et non immigrés se résorbent progressivement en FWB, contrairement à ce qui se passe en Flandre où l’écart entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration tournait toujours en 2012 autour de 100 points, ce qui équivaut à plus de deux années d’études selon l’OCDE.

Évolution des scores moyens en mathématiques selon la catégorie migratoire, PISA 2003-2012

Les résultats des élèves aux tests de lecture de PISA 2009 [24] – dont le domaine principal d’évaluation était la compréhension de l’écrit – montrent également une différence entre les élèves nés à l’étranger ou nés en Belgique de parents étrangers et les élèves belges de naissance. Cet écart s’est cependant réduit par rapport à l’enquête précédente (PISA 2006).

Tendances en lecture par statut par rapport à l’immigration, FWB, PISA 2000 et 2009

La figure suivante [25] montre les différences de résultat, toujours en lecture, selon différentes variables (le genre, l’origine, le milieu socio­économique, le retard scolaire et la filière d’enseignement). Si l’origine (migratoire ou non migratoire) joue sur les résultats (60 points d’écart), le milieu socio­économique joue davantage encore puisque l’écart entre favorisés et défavorisés est plus que doublé (136 points). Cette plus grande différence d’écart s’explique probablement par le fait que la population immigrée est socio­économiquement relativement homogène alors que ce n’est pas le cas pour la population autochtone. Un écart important (plus de 100 points) se retrouve pour d’autres variables (retard scolaire et filière d’enseignement), ce qui signifie que les garçons, d’origine immigrée et de milieu défavorisé, ayant une ou plusieurs années de retard et inscrits dans une filière qualifiante cumulent un faisceau de facteurs prédicteurs d’une faible maitrise de la langue écrite.

Différence de score en lecture selon différentes variables en regard des scores moyens, FWB, PISA 2009

Dans son analyse des résultats en mathématiques de PISA 2012, Nico Hirtt éclaircit le lien entre l’origine ethnique et l’origine sociale. Dans les graphiques suivants [26], la ligne présente la relation entre les performances en mathématiques et l’origine socio­économique pour les élèves autochtones. Le triangle gris indique la position moyenne, par rapport à ces deux axes, des migrants de deuxième génération. Si le triangle est proche de la ligne, cela signifie qu’à origine socio­économique égale, les jeunes issus de l’immigration obtiennent à peu près les mêmes résultats que les autochtones. Si le triangle est en dessous de la ligne, cela signifie par contre qu’il existe un ou plusieurs autres facteurs qui tirent les résultats des élèves issus de l’immigration vers le bas.

Performances et origine sociale des élèves de deuxième génération, PISA 2012

Ainsi, en Fédération Wallonie-Bruxelles, à origine socio­économique égale, les résultats des élèves issus de l’immigration sont très proches de ceux des élèves autochtones, alors qu’en Flandre l’écart est encore de 50 points après contrôle de cette variable, ce qui signifie que des mécanismes de discrimination spécifiques, liés à l’origine étrangère, à la culture…, se surajoutent, dans l’enseignement néerlandophone, aux inégalités sociales comme facteurs explicatifs des résultats observés.

Les difficultés et l’échec scolaires s’expliquent donc essentiellement par le niveau socio­économique des parents, souvent lui-même lié à un faible niveau de scolarité, voire pour nombre d’immigrés à un analphabétisme. L’acquisition de la nationalité par les parents ne peut évidemment pas infléchir la tendance lourde d’inéquité et de reproduction des inégalités sociales qui caractérisent notre système scolaire, ainsi que le dit Altay Manço, toujours dans l’article cité : L’acquisition de la nationalité semble là encore avoir moins d’effets que les conditions sociales et économiques de la famille et la façon dont l’école est capable d’en tenir compte.

La participation politique

L’acquisition de la nationalité ouvre l’accès aux droits politiques que sont le droit de vote et le droit d’éligibilité.

Elle ouvre de facto le droit (et l’obligation) de vote pour tous les niveaux pouvoirs, alors que pour les non-Belges ce droit est limité au niveau communal. [27] Ce droit ne leur est en outre accordé que pour autant qu’ils résident depuis au moins 5 ans en Belgique (avec titre de séjour légal) – ou qu’ils aient la nationalité d’un État membre de l’Union européenne – et qu’ils introduisent au préalable une demande d’inscription sur le registre des électeurs de la commune (cette demande ne doit être faite qu’une seule fois). Les ressortissants non européens doivent en outre faire une déclaration par laquelle ils s’engagent à respecter la Constitution, les lois du peuple belge et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (usuellement appelée Convention européenne des droits de l’homme).

L’acquisition de la nationalité ouvre également le droit de se présenter sur les listes électorales, et par conséquent de siéger à l’un ou l’autre niveau de pouvoir. Ce droit est-il utilisé par les Belges non natifs ?

Le Minderhedenforum a, à ce sujet, réalisé des études lors des élections de 2010 et 2014. Pour ce faire, il a répertorié sur les listes électorales les candidats dont le nom (prénom/nom de famille) avait une consonance étrangère, en complétant l’information par d’autres éléments comme l’apparence physique.

Ainsi, en juin 2010, au niveau fédéral, les candidats d’origine étrangère représentaient 7 % de tous les candidats de tous les partis (4 % sur les listes flamandes et 14 % sur les listes francophones). [28] Le pourcentage global n’était pas très éloigné du pourcentage de Belges d’origine étrangère qui était de 8 % au 1er janvier 2010. [29] Ce rapport n’est cependant pas tout à fait exact puisqu’il faudrait uniquement tenir compte de la population en âge d’éligibilité (18 ans et plus).

Proportion de candidats d’origine étrangère (listes du Parlement fédéral), juin 2010.
Listes néerlandophones
Effectifs Suppléants Total
Sénat 7 (4 %) 6 (6,12 %) 13 (4,76 %)
Limbourg 3 6 9 (6,7 %)
Anvers 12 4 16 (6,18 %)
Flandre orientale 8 3 11 (5,07 %)
Flandre occidentale 0 0 0 (0 %)
Bruxelles-Hal-Vilvoorde 9 0 9 (3,78 %)
Louvain 1 0 1 (1,1 %)
Total Chambre 33 (4,68 %) 13 (3,2 %) 46 (3,82 %)
Total Chambre + Sénat 59 (4,26 %)
Listes francophones
Effectifs Suppléants Total
Sénat 14 (23,33 %) 2 (5,56 %) 16 (16,67 %)
Hainaut 9 4 13 (10,83 %)
Brabant wallon 1 1 2 (4,55 %)
Liège 5 2 7 (7,29 %)
Namur 1 1 2 (4,17 %)
Bruxelles-Hal-Vilvoorde 28 15 43 (31,32 %)
Luxembourg 0 0 0 (0 %)
Total Chambre 44 (15,49 %) 23 (11,5 %) 67 (13,84 %)
Total Chambre + Sénat 83 (14,31 %)

Pour les élections fédérales de mai 2014, les données disponibles ne concernent que les listes néerlandophones. On y constate une augmentation de la présence de Belges non natifs puisque d’un peu plus de 4 % en 2010 on est passé à un peu moins de 7 % de candidats (supposés) d’origine étrangère en 2014. Ce sont par ailleurs les partis de gauche (12 % tant pour le PVDA que le sp.a) et écologiste (10 % pour Groen) qui accueillaient le plus de candidats d’origine étrangère sur leurs listes. [30]

Verdeling naar partijen (lijsten federaal parlement), mei 2014
Partij % etnisch-culturele minderheden
PVDA** 11,87 %
Groen* 10 %
sp.a 11,87 %
CD&V 6,25 %
Open VLD 5 %
N-VA 1,87 %
Vlaams Belang 0,62 %
Totalen 6,78 %
* Groen komt voor het federaal parlement in Brussel op met Écolo. Voor het percentage Brusselse Groenen met migratieachtergrond werd alleen gekeken naar de Nederlandstalige kandidaten.
** Ook PVDA komt in Brussel voor het federaal parlement op met haar Franstalige zusterpartij PTB. Daar berekenden we het aantal kandidaten met een migratieachtergrond t.o.v. de globale lijst, omdat PVDA, in tegenstelling tot Groen, niet aangeeft welke de Nederlandstalige kandidaten zijn.

Ce sont par ailleurs les personnes d’origine magrébine (86 candidats) et turques (45 candidats) qui étaient les plus nombreuses sur les listes, représentants respectivement 40 % et 21 % des candidats d’origine étrangère. [31]

Quant aux résultats des élections, 10 % des élus sont d’origine étrangère, taux plus élevé que celui des candidats sur les listes – qui était de 7 % – et preuve que l’intégration politique a dépassé l’intention pour devenir réalité. C’est au sp.a (40 %) et chez Groen (29 %) qu’on observe une véritable percée de la représentation des candidats belges d’origine étrangère parmi les élus – on peut même parler de surreprésentation –, alors qu’elle reste faible ou nulle dans les autres partis. [32]

Vlaamse parlementsleden met een migratieachtergrond (federaal parlement), mei 2014
Partij Totaal aantal parlementsleden Vlaamse gemeenschap (kamer + senaat) Aantal migratie­achtergrond (kamer + senaat) Procent
sp.a* 20 8 40 %
n-va 41 2 4,87 %
Open VLD 19 0 0 %
CD&V 24 1 4,16 %
Groen** 7 2 29 %
VB 15 0 0 %
LDD 1 0 0 %
Onafhankelijk 1 0 0 %
Totaal 128 13 10,15 %
* 1 parlementslid met migratieachtergrond is een onrechtstreeks verkozen gemeenschapssenator, die ook zetelt in het Vlaams parlement.
** Groen vormt in het federaal parlement één fractie met Écolo. We tellen hier alleen de Nederlandstaligen van de groene fractie.

Au regard de ces résultats, il apparait que le droit d’éligibilité est non seulement utilisé mais qu’il produit aussi des effets tangibles – du moins dans une partie de l’échiquier politique – quant à la présence et la représentation des Belges d’origine étrangère au sein des assemblées issues du scrutin électoral. Comme le dit Altay Manço [33], leur présence au sein des institutions constitue un apport positif en termes de connaissance de la population étrangère et permet une approche plus adéquate des problèmes rencontrés. Mais, poursuit-il, si ces élus défendent des dossiers spécifiques aux populations étrangères, ils ne s’enferment toutefois pas dans ce rôle car ils se considèrent pour la plupart comme des élus belges, élus pour tous les Belges.

Conclusion : pas de lien automatique entre acquisition de la nationalité et intégration

Comme le précise Altay Manço toujours dans le même article, l’acquisition de la nationalité est avant tout le résultat d’une procédure juridique et on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle résolve dans l’immédiat les problèmes sociaux des immigrés ; elle est un moyen facilitant le processus d’intégration et représentant non pas l’étape ultime ni initiale, mais une étape, importante, du parcours d’intégration de l’immigré ; elle ne peut pas être considérée comme l’aboutissement du processus d’intégration des immigrés, processus bidirectionnel qui n’a par ailleurs pas de point final déterminé ; elle permet la constitution d’un lien national avec le pays d’accueil. Elle est donc à considérer davantage comme un instrument parmi d’autres, utile au processus d’intégration et d’établissement en Belgique et plus largement dans l’Union européenne.

La politique d’accès à la nationalité fait en effet partie d’un ensemble beaucoup plus vaste, celui des politiques d’immigration. Une étude [34] a montré qu’il existe une corrélation forte et positive entre la politique d’accès à la nationalité et celle d’intégration. Ainsi, lorsqu’un pays mène une politique d’accès à la nationalité ouverte et inclusive, on peut s’attendre à ce qu’il accorde aussi des droits étendus aux étrangers dans d’autres domaines de la vie publique. Au contraire, les pays qui se montrent plus restrictifs vis-à-vis de l’obtention de la nationalité ont aussi tendance à avoir une politique restrictive en matière d’intégration. L’étude montre par exemple que ces pays accordent moins de droits politiques aux étrangers, alors que ceux qui ont une politique plus ouverte d’accès à la nationalité ont aussi en général des lois plus solides de lutte contre les discriminations. [35] Certains chapitres du rapport 2013 du Centre fédéral Migrations en disent long sur l’évolution récente de la politique belge en matière d’accueil et d’intégration…

Antériorité de la connaissance de la langue sur l’intégration ?

Un numéro du Journal de l’alpha [36] analyse le lien entre langue et intégration, notamment sur base d’études réalisées par Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville (UCL) [37] d’une part et par Piet Van Avermaet (UGent) [38] d’autre part. Dans leur article [39], Anne Godenir et Aurélie Storme (Lire et Écrire Wallonie) partent du constat qu’aujourd’hui [notamment dans le cadre des décrets relatifs au parcours d’accueil pour primo­arrivants] la maitrise de la langue constitue une preuve d’intégration, alors que l’intégration a longtemps été envisagée comme un facteur concourant à l’apprentissage de la langue pour montrer (dans la première partie de leur article) que la connaissance de la langue n’est pas un prérequis à l’intégration.

Ainsi, disent-elles, selon Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, si la connaissance de la langue semble bien être un facilitateur de l’intégration dans de nombreuses situations, l’idée de la langue comme fondement de l’intégration est à nuancer grandement. Les conclusions de leur étude les amènent notamment à pointer l’intérêt, la légitimité d’adopter un point de vue différent : Plutôt que de voir la langue comme la cause des difficultés d’intégration, il s’agirait plutôt, comme le suggèrent plusieurs auteurs (Biichlé 2008 ; Lucchini 2012), de penser que c’est l’absence d’intégration sociale qui crée les difficultés d’appropriation linguistique. [40].

Et elles poursuivent : Dans le même sens, selon Piet Van Avermaet [41], la formalisation nuit à l’acquisition naturelle de la langue : au lieu d’apprendre la langue en l’utilisant dans des situations de communication naturelle, on invite les personnes à attendre de « savoir la langue » pour l’utiliser. Or, on acquiert une langue en réponse à un besoin. Faire de la langue une condition d’intégration équivaut à refuser au migrant la possibilité d’être actif dans des domaines où il sera en contact avec les autochtones, dans des lieux où l’acquisition de la langue est un processus naturel. C’est donc contreproductif.

Pour ensuite rendre compte de la position de Lire et Écrire : Si Lire et Écrire souligne l’importance de la connaissance de la langue dans le processus d’intégration, elle ne considère pas qu’elle est première dans le temps. L’implication des personnes dans des activités à but social ou professionnel facilite l’apprentissage de la langue et il serait dangereux, voire absurde, de hiérarchiser/séquencer ces deux processus en considérant que les personnes doivent développer leurs connaissances linguistiques avant de participer à toute forme de vie sociale.

Toujours dans le droit fil de l’analyse de Piet Van Avermaet, elles dénoncent les limites des tests linguistiques qui, plutôt que d’être des instruments permettant d’évaluer des savoirs mis en œuvre dans une situation donnée, ne sont que des instruments de mesure de la capacité… à réussir un test valorisant leur connaissance théorique de la langue.

Elles reprochent également aux tests d’être une construction socio­culturelle dont la mise en œuvre n’est pas un fait isolé mais se fait dans un contexte avec des intentions politiques : ils reflètent les croyances, normes et valeurs du groupe majoritaire. Se pose dès lors pour elles la question Qu’évalue-t-on donc réellement avec de tels tests ?, mais aussi Un test normé ne risque-t-il pas de cibler un vocabulaire considéré comme « neutre » par les concepteurs du test et, pourtant, dans les faits, très éloigné des références culturelles de la personne qui passe le test, augmentant la probabilité de passer à côté des compétences de cette personne ?

Et pourtant, malgré ces limites et ces biais, une entière confiance est donnée aux résultats des tests comme si ceux-ci étaient capables de témoigner d’un degré plus ou moins élevé d’intégration : plus la réussite à un test sera bonne, plus la personne sera considérée comme intégrée. Non seulement les personnes qui feront passer les tests et celles qui en utiliseront les résultats pour prendre une décision pratiqueront de la sorte mais les personnes soumises aux tests risquent de leur accorder la même confiance : Si des personnes se réfèrent à des tests pour définir leurs capacités, elles risquent bien de se dissuader elles-mêmes d’utiliser la langue dans des contextes de vie, tant qu’elles n’ont pas satisfait au test, disent Anne Godenir et Aurélie Storme.

Si on ajoute à cela que les descripteurs du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) [42] – qui sert d’étalon pour l’évaluation du niveau de connaissance linguistique dans le Code de la nationalité, comme dans bien d’autres dispositifs (les parcours d’accueil pour primo­arrivants par exemple) – supposent des prérequis en langue et littératie que ne maitrise pas une large proportion du public des programmes d’intégration, on se retrouve face à un facteur de discrimination supplémentaire. Le référentiel européen des langues, conçu pour promouvoir le plurilinguisme, est donc détourné pour stigmatiser les nouveaux arrivants au lieu de reconnaitre leur apport : leur capacité à contribuer en termes de ressources à une société diversifiée, concluent les auteures.

Notons que la tendance à faire de la langue une condition pour l’accès à la nationalité s’accentue continuellement en Europe, signe d’une politique d’accueil et d’intégration – notion comprise ici dans le sens où l’entend Margalit Cohen-Emerique [43] – de moins en moins présente. Si en 2002 les politiques d’intégration de seulement 29 % des pays (4 sur 14) faisaient de la langue une condition pour l’accès à la nationalité, en 2010 cette condition concernait 75 % des pays (23 sur 31), et les tests de langue étaient fréquemment obligatoires pour obtenir un droit de séjour permanent ou l’accès à la nationalité (dans 65 % des pays, soit 15 sur 23). [44] Les exigences varient cependant selon les pays. Ainsi, par exemple, la France exige le niveau B1 du CECR mais seulement à l’oral. [45]

Conclusion : une politique de l’État social actif

L’analyse des critères actuels d’accès à la nationalité, particulièrement ceux permettant de l’acquérir quand on séjourne depuis moins de 10 ans en Belgique [46], montre que la question de l’emploi et de la formation se surimpose très largement à celle de la connaissance de la langue : si vous avez un emploi ou si vous avez suivi une formation professionnelle censée favoriser votre accès sur le marché du travail, c’est que vous avez le niveau de connaissance linguistique requis. L’introduction de critères linguistiques serait-elle un prétexte pour faire passer des critères socio­professionnels avant tout ?

Les victimes de la fracture sociale risquent d’être les laissés-pour-compte de la loi de 2012 sur l’accès à la nationalité, de faire les frais d’une société qui exclut les plus défavorisés tout autant qu’elle favorise les plus performants, les plus économiquement rentables. Comme le dit l’asbl Objectif par la voix de sa coordinatrice, Rachida Meftah, en restreignant l’accès à la nationalité, on va juste enfermer des citoyens dans une catégorie de seconde zone où ils disposeront de moins de droits que ceux qui ont obtenu la nationalité. (…) En imposant des critères d’intégration économique ou d’intégration sociale à ceux qui veulent acquérir la nationalité belge, on crée une véritable sélection sociale. (…) On a mis des critères d’exclusion alors que tous ces points devraient plutôt être un objectif à atteindre. Que ce soit pour l’intégration sociale, l’intégration économique ou même la connaissance de la langue. [47]

Et elle poursuit : On veut des personnes qui travaillent, qui sont diplômées, qui parlent une langue avec un niveau A2 minimum… Comme le disait Theo Francken au moment des débats à la Chambre : On va prendre la crème de la crème… L’introduction du mérite économique pour l’acquisition de la nationalité par naturalisation prévue dans l’Accord conclu en octobre dernier par le gouvernement Michel [48] semble confirmer cette hypothèse.

Aujourd’hui, pour acquérir la nationalité, mieux vaut donc avoir un profil « intéressant » pour la société, c’est-à-dire un profil utile au système économique capitaliste.

On comprend ici toute l’intention qui se trouve derrière l’inversion des antériorités – antériorités de l’intégration et de la connaissance de la langue sur l’intégration –, avec en toile de fond le passage d’une politique inclusive à une politique restrictive.

Le Code de la nationalité, un volet d’une politique d’immigration choisie dans le cadre d’un État social actif ? Se poser la question, ici en conclusion, c’est déjà y répondre…


[2In Arrêté royal, op. cit., Rapport au Roi de la ministre de la Justice Annemie Turtelboom, Chapitre III.1.

[3Terme utilisé en 2011 par l’actuel secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Theo Francken, à propos des diasporas marocaine, congolaise ou algérienne dont il voyait difficilement la valeur ajoutée.

[5Bruno Louis, La loi du 1er mars 2000 révolutionne « par défaut » l’acquisition de la nationalité belge, in Année Sociale, Institut de sociologie, Université Libre de Bruxelles, 2000, p. 94.

[6Andrea Rea, Le « futur national » : conforme et productif, in Migrations Magazine, no 10, juin 2013.

[7Rachid Madrane (entretien avec), Entendre le malaise qui existe sur ces questions, in Migrations Magazine, op. cit.

[8Ibid.

[9Martine Vandemeulebroucke, Cacophonie sur la nationalité, in Le Soir, 21 juin 2011.

[10Andrea Rea, op. cit.

[11Martine Vandemeulebroucke, op. cit.

[12Hypothèse farfelue destinée à agiter « le spectre de la peur », comme le rappelle Rachida Meftah de l’asbl Objectif : Avec la nationalité, on parle de personnes qui résident déjà de manière permanente en Belgique, qui sont déjà installées ici. On ne parle pas de l’arrivée de nouvelles personnes. Car, dit-elle, si c’est vrai que sous l’ancienne loi, il y a eu à un moment la possibilité d’introduire des demandes depuis l’étranger (…), ça ne représentait qu’un nombre infime de cas. Et d’ajouter : On ne peut pas dire que cette disposition a ouvert une porte à la migration puisque la plupart de ces dossiers se sont vu octroyer un refus dans la mesure où ces personnes n’avaient pas de lien avec un parent belge. Je crois surtout qu’on a mis en avant des cas souvent très spécifiques pour en faire des généralités et les faire passer pour des abus à grande échelle. (Rachida Meftah (entretien avec), Nouveau code = sélection sociale !], in Migrations Magazine, op. cit.)

[13La naturalisation devenant quant à elle une procédure d’exception.

[14Doltza Sanchez Pardo, Code de la nationalité : plus compliqué et restrictif, in Trait d’Union, no 2/2013, p. 12.

[15Accord de gouvernement, 9 octobre 2014, p. 156.

[16Forum organisé en partenariat avec plusieurs associations dont Lire et Écrire Bruxelles, pour informer les personnes en formation d’alphabétisation ou en FLE, ainsi que des personnes relais, des critères à remplir pour acquérir la nationalité. Plusieurs groupes d’apprenants de Lire et Écrire Bruxelles ont participé à ce forum. allrights.be/forum

[17Altay Manço, Le sésame de la carte verte, in Migrations Magazine, op. cit.

[19Ibid.

[20Vincent Corluy, Ive Marx et Gerlinde Verbist, Employment chances and changes of immigrants in Belgium: the impact of citizenship, Working paper no 11/07, Centrum voor Sociaal Beleid, Universiteit Antwerpen, mai 2011.

[21In Migrations Magazine, op. cit.

[23Ibid., p. 38.

[24Ariane Baye et al., La lecture à 15 ans. Premiers résultats de PISA 2009, Les Cahiers des Sciences de l’Éducation, aSPe/ULg, no 31, 2010, p. 11.

[25Ibid., p. 15.

[27Les étrangers UE peuvent également voter aux élections européennes.

[29Centre fédéral Migration, Migration. Rapport annuel 2011, p. 26.

[30Catelijne Devriendt et Naima Charkaoui, Diversiteit op de kieslijsten verkiezingen 2014, Minderhedenforum, mai 2014, p. 10.

[31Ibid., p. 16.

[32Ibid., p. 6.

[33In Migrations Magazine, op. cit.

[34Thomas Huddleston et Maarten Peter Vink, [[ Membership and/or rights ? Analysing the link between naturalisation and integration policies for immigrants in Europe, RSCAS Policy Papers 2013/15, Robert Schuman Centre for Advanced Studies, septembre 2013.

[35Centre fédéral Migration, Migration. Rapport annuel 2013, p. 226.

[37Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, Apprentissage du français et intégration. Des évidences à interroger, Cahiers Français et Société, no 26-27, Éditions modulaires européennes, 2014.
À partir des stéréotypes testés auprès d’un échantillon d’informateurs issus de différents groupes sociaux, les auteurs ont rédigé un guide où ces idées reçues font l’objet d’une analyse critique : Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, Maitrise du français et intégration. Des idées reçues, revues et corrigées, collection Guide, Fédération Wallonie-Bruxelles – Culture, 2014.

[38Auteur notamment de : L’intégration linguistique en Europe : analyse critique, in Hervé Adami et Véronique Leclercq (sous la dir. de), Les migrants face aux langues des pays d’accueil. Acquisition en milieu naturel et formation, presses universitaires du Septentrion, 2012.

[39Anne Godenir et Aurélie Storme, Intégration et maitrise de la langue dans la perspective du nouveau décret de la Région wallonne, in Journal de l’alpha, op. cit., pp. 62-71.

[40Philippe Hambye et Anne-Sophie Romainville, L’appropriation de la langue française, condition ou conséquence d’une intégration réussie ? Enquête sur les représentations des Belges francophones au sujet des rapports entre langue et intégration, Texte présenté lors de la journée de réflexion organisée à l’initiative de la Ministre de la Culture et de l’Égalité des chances sur le thème de l’appropriation du français par les pratiques culturelles, 20 mars 2013.

[41Piet Van Avermaet, L’intégration linguistique en Europe : analyse critique, in Hervé Adami et Véronique Leclercq (sous le dir. de), op. cit.

[43L’intégration, c’est une meilleure compréhension, une plus grande tolérance, c’est la reconnaissance de ce qu’est l’autre dans sa spécificité culturelle et dans sa trajectoire migratoire. (L’approche interculturelle, une prévention à l’exclusion, in Les Cahiers de l’Actif, no 250-251, mars-avril 1997, pp. 19-29).

[45Voir Épreuves linguistiques pour l’accès à la nationalité française, Centre international d’études pédagogiques, septembre 2014.

[46Voir : Le Code de la nationalité de 2012 : une politique qui rend l’accès à la nationalité impossible pour les personnes analphabètes, op. cit., point 2.1. En cas de séjour légal depuis au moins 5 ans (et moins de 10 ans).

[47Rachida Meftah (entretien avec), Nouveau code = sélection sociale !, op. cit.

[48Accord de gouvernement, op. cit., pp. 155-156.