Sylvie-Anne Goffinet – Lire et Écrire Communauté française
5 janvier 2015
(rédaction adoptant les rectifications orthographiques de 1990)
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Voir la seconde partie de l’analyse.
Modalités d’acquisition de la nationalité
Il est impossible de reprendre ici la description détaillée de la nouvelle loi. D’autres, spécialistes en la matière, l’ont fait par ailleurs [2]. Nous nous limiterons aux grandes lignes les plus problématiques, à notre sens, de l’acquisition de la nationalité par les personnes majeures.
La naturalisation
Auparavant (dans la loi du 1er mars 2000), pour pouvoir demander la naturalisation auprès de la Chambre des Représentants, il suffisait d’avoir fixé sa résidence principale en Belgique depuis au moins trois ans (deux ans pour les personnes dont la qualité de réfugié ou d’apatride était reconnue). Depuis le 1er janvier 2013, l’acquisition de la nationalité par naturalisation a été drastiquement restreinte : seuls peuvent y prétendre les personnes en mesure de témoigner à la Belgique de mérites exceptionnels dans les domaines scientifique, sportif ou socioculturel et, de ce fait, [de] pouvoir apporter une contribution particulière au rayonnement international de la Belgique
[3].
Le gouvernement actuel (MR, Open VLD, CD&V et N-VA) a l’intention d’élargir la naturalisation sur base des mérites au mérite économique, selon l’Accord de gouvernement [4]. Cette notion sera définie par voie légale mais d’ores et déjà on peut s’interroger avec le CIRÉ sur la portée de cet élargissement : À qui pense-t-on ? Aux grosses fortunes qui échappent au fisc dans leur pays ?
[5]. Rapporté à la partie du même Accord consacrée au rôle de l’Union européenne – où il est dit que le gouvernement œuvrera au niveau européen pour l’instauration d’un cadre permettant une utilisation optimale du potentiel de l’immigration économique
[6] – on ne peut que constater, toujours avec le CIRÉ, que le gouvernement compte s’engager encore davantage dans une vision très utilitariste de l’immigration (…). Il s’agit d’immigration choisie… mais il faut se demander au profit de qui.
[7]
Dans la loi de décembre 2012, les apatrides reconnus gardent leur droit à la naturalisation après une durée de séjour de 2 ans minimum. Les réfugiés ont, pour leur part, perdu ce droit alors que la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés dont la Belgique est signataire, précise, à l’article 34, que
[8]les États contractants faciliteront, dans toute la mesure du possible, l’assimilation et la naturalisation des réfugiés
.
La déclaration
La loi du 4 décembre 2012 restreint également fortement l’acquisition de la nationalité par déclaration (qui doit toujours être faite devant l’officier de l’état civil du lieu où l’intéressé a sa résidence principale). Si la loi du 1er mars 2000 ouvrait cette acquisition à l’étranger qui a fixé sa résidence principale en Belgique depuis au moins sept ans, et qui, au moment de la déclaration, a été admis ou autorisé à séjourner pour une durée illimitée dans le Royaume, ou a été autorisé à s’y établir
[9], la loi du 4 décembre 2012, suivant le principe d’inversion que nous avons mentionné, introduit des conditions en termes de participation économique, d’intégration sociale, de connaissance linguistique, de participation à la vie de la communauté d’accueil.
En cas de séjour légal depuis au moins 5 ans (et moins de 10 ans)
C’est pour les personnes ayant entre 5 et 10 ans de séjour légal en Belgique, n’ayant pas d’attaches familiales en Belgique (époux/épouse ou parent(e) d’un enfant mineur belge) et n’ayant pas atteint l’âge légal de la pension [10] que les conditions sont les plus dures. Ces personnes doivent apporter des preuves sur trois des quatre critères mentionnés.
La participation économique
Cette condition est la suivante : avoir, au cours des 5 dernières années, travaillé 468 jours ou payé 6 trimestres de cotisations sociales comme indépendant.
Il est clair qu’un certain nombre de personnes rencontrent/vont rencontrer des difficultés à remplir cette condition. En première ligne les femmes au foyer qui sont nombreuses parmi la population immigrée (rappelons ici les propos d’Andrea Rea sur l’immigré « improductif »/l’immigrée « improductive »). Ensuite toutes les personnes qui ont un travail précaire (contrats à durée limitée, chômage interrompu de courtes périodes de travail, intérims, volumes horaires trop faibles, sans parler du travail en noir). Mais aussi les personnes dont l’activité professionnelle n’est pas considérée comme du travail au sens de la loi (par exemple le travail en ALE). Et, bien sûr, les chômeurs de longue durée.
Aux personnes qui ne peuvent remplir cette condition de participation économique, il ne reste plus d’autre « choix » que de renoncer à la procédure après 5 ans de séjour légal et d’attendre de pouvoir introduire celle pour un séjour légal de minimum 10 ans pour laquelle cette condition n’est plus requise.
Ajoutons, à titre comparatif, que, outre la Belgique, seules l’Autriche, la France et la Suisse ont intégré dans leur code de la nationalité des conditions de travail (selon l’asbl Objectif).
L’intégration sociale
Pour remplir cette condition, les personnes doivent se prévaloir soit d’un diplôme au minimum de l’enseignement secondaire supérieur obtenu au terme d’une scolarité suivie dans l’une des trois langues nationales et délivré par un établissements belge, soit de l’exercice d’une activité professionnelle ininterrompue en Belgique au cours des 5 dernières années, soit d’une formation professionnelle d’au moins 400 heures reconnue ou organisée par les Offices régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle, soit d’un parcours d’intégration (parcours d’accueil pour primoarrivants organisé par les Régions mais non encore opérationnel, sauf en Flandre, au moment de la mise en œuvre du nouveau Code de la nationalité début 2013).
Le fil qui relie ces différents types de preuve [11] est la maitrise (supposée [12]) d’une des trois langues nationales au niveau A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) [13], niveau qualifié d’intermédiaire ou de survie dans ce référentiel. Le critère de la langue est donc très largement mis en avant. La question de l’emploi et de la formation se surimpose en effet à celle de la connaissance de la langue : si la personne a un emploi ou a suivi une formation professionnelle censée favoriser son accès sur le marché du travail, elle est considérée comme satisfaisant d’office aux exigences linguistiques.
Dans cette perspective, la possibilité de répondre à la condition d’intégration sociale en justifiant d’une durée ininterrompue de 5 ans de travail pose, selon nous, question dans la mesure où, compte tenu notamment des législations applicables en matière d’emploi des langues dans les relations sociales au sein des entreprises, il est simplement présumé que la langue d’usage au sein de l’entreprise est la langue du lieu du siège d’exploitation de la société. Ainsi, selon les propos du législateur, le fait que l’étranger ait été professionnellement actif en Belgique durant plusieurs années constitue incontestablement un gage sérieux de maitrise du niveau de langue requis compte tenu notamment des législations applicables en matière d’emploi des langues dans les relations sociales au sein des entreprises qui tendent à imposer la langue du lieu du siège d’exploitation de la société
. [14] Or on sait que dans la réalité il n’en est rien. L’asbl Objectif donne l’exemple de Mme S. hautement qualifiée qui vit en Belgique depuis presque 6 ans. Elle travaille depuis son arrivée dans une société américaine et elle ne parle que l’anglais. Elle pourra obtenir la nationalité belge sur la simple base de son travail ininterrompu, même si elle n’a jamais communiqué dans l’une des trois langues nationales. [15]
La dernière possibilité de preuve de l’intégration sociale est le suivi d’un parcours d’intégration (parcours d’accueil pour primoarrivants organisé par les Régions). Or un tel parcours existe depuis 2004 en Flandre [16], mais en Régions wallonne et bruxelloise, ces parcours ne sont pas encore opérationnels (hormis la mise en œuvre localisée, à titre expérimental, de projets/phases pilotes). On sait par ailleurs que ces derniers ne concernent que les personnes primoarrivantes séjournant légalement en Belgique depuis moins de 3 ans et disposant d’un titre de séjour de plus de 3 mois. De nombreuses personnes se verront-elles exclues de l’accès à la nationalité parce qu’elles sont arrivées en Belgique à un moment où ces parcours d’accueil n’existaient pas encore, parce qu’elles ont suivi un parcours d’accueil sans avoir eu l’obligation de suivre une formation linguistique visant le niveau A2, parce qu’elles n’ont pas trouvé de place en formation et qu’elles ignoraient que cela conditionnerait plus tard leur accès à la nationalité… ? [17]
La connaissance linguistique
Puisque le fil rouge de l’intégration sociale est la maitrise d’un niveau linguistique A2, la preuve de l’intégration linguistique sera rapportée à chaque fois que l’étranger démontrera satisfaire à l’intégration sociale du Code de la nationalité belge
[18]. Autrement dit, les personnes qui satisfont au critère d’intégration sociale satisfont d’office au critère de connaissance linguistique.
En cas de séjour légal depuis 10 ans
Pour les personnes séjournant légalement en Belgique depuis au moins 10 ans, les conditions économiques et d’intégration sociale sont supprimées et remplacées par une condition de participation à la vie de la communauté d’accueil. Les conditions sont ici plus souples que pour le séjour de moins de 10 ans, tout en se situant dans la même logique de preuve de l’intégration.
Les possibilités de preuve de la connaissance de la langue sont les mêmes que celles de l’intégration sociale [19] mais d’autres s’y ajoutent :
- un certificat linguistique délivré par le SELOR ;
- une attestation de réussite d’une des trois langues nationales délivrée par les Offices régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle (VDAB, Bruxelles Formation, Actiris, FOREm ou Arbeitsamt) ;
- une attestation de réussite d’une des trois langues nationales délivrée par un établissement organisé, reconnu ou subventionné par une Communauté.
Quant à la participation à la vie de la communauté d’accueil – participation économique et socioculturelle (notez-le « et » !) –, le candidat devra produire une déclaration accompagnée le cas échéant des pièces justificatives pertinentes et qui contient des éléments d’où il apparait que le demandeur participe à la vie économique et socioculturelle de sa communauté d’accueil
[20]. La circulaire du 8 mars 2013 donne les exemples suivants : le fait d’avoir accompli sa scolarité en Belgique, le suivi d’une formation professionnelle, une implication active dans la vie associative belge, la participation de la personne à des dispositifs de formation mis en place notamment dans le cadre des parcours d’accueil et d’intégration organisés par les communautés ou tout autre processus similaire, l’exercice d’une activité professionnelle depuis de nombreuses années en Belgique, etc. [21]
La validité de ces preuves est laissée à l’appréciation du procureur du Roi. On peut dès lors imaginer toute la subjectivité qui peut jouer en faveur ou en défaveur du demandeur. Le risque est grand que des valeurs morales et culturelles interfèrent dans ce jugement, et ce d’autant plus que l’écart socioculturel entre le procureur et le demandeur sera grand lui aussi.
Impacts des nouvelles modalités d’acquisition
Nous nous limiterons ici aux impacts qui touchent les personnes les plus fragilisées socialement et qui, du fait des conditions introduites dans la loi du 4 décembre 2012, voient leur accès à la nationalité belge rendu plus difficile, voire impossible.
Le niveau A2 du CECR, inaccessible aux analphabètes
Comme nous l’avons vu, les candidats à la nationalité doivent pouvoir justifier de leur connaissance d’une des trois langues nationales avec un niveau A2 selon les critères du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), et ce dans les quatre compétences : comprendre, communiquer, lire, écrire. Seules sont exemptées les personnes qui demandent la naturalisation, les personnes ayant atteint l’âge légal de la pension (ou souffrant d’une invalidité ou d’un handicap les empêchant de travailler) et, selon nous, les personnes pouvant justifier de 5 ans de travail continu en Belgique (pour la raison que nous avons évoquée plus haut, même si le législateur ne le voit pas de cette manière).
Pour les personnes pas ou peu scolarisées, cette justification est problématique car si les personnes qui ont atteint un niveau de débrouille pour comprendre et s’exprimer dans la vie quotidienne ne devraient pas rencontrer de difficulté à l’oral, il n’en va pas de même pour l’écrit. En lecture, le niveau A2 exige par exemple de pouvoir lire un texte court très simple et, en écriture, de pouvoir écrire une lettre courte très simple. À titre comparatif, ce niveau A2 correspond à un niveau 2 (acquis) en lecture et en écriture du Référentiel de compétences pour l’alphabétisation réalisé par Lire et Écrire Bruxelles [22], soit le niveau maitrisé par des personnes qui se situent, dans leur apprentissage en alphabétisation, à un niveau 3 ou 4 (sur 4 niveaux). Outre les personnes totalement analphabètes, de nombreuses personnes en cours de formation ne pourront donc atteindre le niveau exigé par la législation sur l’accès à la nationalité. Ce sera par exemple le cas de M. R., un ex-ouvrier de 51 ans qui parle parfaitement le français mais ne maitrise pas la langue écrite. Venu en Belgique à l’âge de 9 ans avec ses parents, il a arrêté l’école sans avoir obtenu le diplôme de l’ESS. Il a travaillé depuis son plus jeune âge mais se trouve au chômage depuis plus de 5 ans. Il devra renoncer définitivement à la nationalité tant qu’il ne réussit pas le test de niveau A2. [23]
L’apprentissage de la langue, orale et écrite, prend du temps et ce temps n’est pas identique pour tous. Peut-on croire que les personnes qui auront la chance de suivre un parcours d’accueil pour primoarrivants [24] auront au bout du processus fixé atteint un niveau A2 tel que décrit dans le CECR ? Si le décret bruxellois vise dans son arrêté d’application trois filières (alpha, FLE-A et FLE-B) proposant respectivement un cursus de 750, 400 et 240 heures (plus d’heures prévues pour ceux dont le niveau de scolarité est le plus bas), le décret wallon ne parle que de 6 mois maximum de formation avec 120 heures minimum de formation [25]. Quand on sait que certaines personnes analphabètes sont depuis plusieurs années en formation, on peut se demander si le maximum de temps alloué à chaque personne au sein de ces filières sera suffisant pour atteindre le niveau A2 requis.
Par ailleurs, à l’exception de ceux organisés par Bruxelles Formation [26], les tests pour obtenir l’attestation de réussite se déroulent sur ordinateur, ce qui est un handicap pour les personnes qui ne maitrisent pas l’outil… On sait par ailleurs que l’analphabétisme numérique va souvent de pair avec l’analphabétisme (tout court), comme la fracture sociale passe aussi souvent par la fracture numérique. Ce qui pose évidemment la question de l’initiation à cet outil, notamment dans les cours de langue qui seront organisés dans le cadre des parcours d’accueil.
L’exclusion des plus socioéconomiquement défavorisés
En souhaitant restreindre l’accès à la nationalité, (…) le législateur va non seulement diminuer le nombre de personnes qui deviendront Belges, mais va aussi créer une sélection sociale qui fera en sorte qu’un grand nombre d’étrangers, les plus défavorisés, n’obtiendront plus la nationalité de notre pays
, disait l’asbl Objectif dans un communiqué de presse en mars 2011. [27]
Mais qui sont ces étrangers les plus défavorisés ? Ceux qui ont un faible niveau de scolarité ? Qui sont sans emploi ou en précarité d’emploi ? Qui ont de faibles revenus, voire un risque important d’être ou de basculer dans la pauvreté ? …
Un document publié par le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale [28] reprend des données montrant que le pourcentage de personnes ayant un faible niveau d’études sont surreprésentées chez les chômeurs (39 % chez les chômeurs, contre 20 % chez les travailleurs) et encore bien davantage chez les « économiquement inactifs » (61 %).
Belgique | Région de Bruxelles-Capitale | Région flamande | Région wallonne | |
---|---|---|---|---|
Travailleurs | 20,3 | 21,2 | 19,6 | 21,5 |
Chômeurs | 38,7 | 41,1 | 35,3 | 40,3 |
Écononiquement inactifs | 60,6 | 55,0 | 61,1 | 61,2 |
Source : SPF Économie – Direction générale Statistique et Information économique, Enquête sur les forces de travail 2009 (repris dans Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de pauvreté 2010, p. 75). |
D’autres données reprises dans ce document montrent que les personnes ayant un faible niveau d’études sont surreprésentées parmi les personnes originaires d’un pays non-UE (54 %, contre 38 % chez les Belges et 43 % chez les ressortissants d’un pays membre de l’UE).
Belgique | Région de Bruxelles-Capitale | Région flamande | Région wallonne | |
---|---|---|---|---|
Belges | 37,5 | 35,8 | 37,1 | 38,7 |
Autres UE27 | 42,5 | 31,4 | 36,3 | 54,1 |
Non UE27 | 54,2 | 52,4 | 53,6 | 58,3 |
Source : SPF Économie – Direction générale Statistique et Information économique, Enquête sur les forces de travail 2009 (repris dans Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de pauvreté 2010, p. 74). |
NB : Pour 2013, ces chiffres sont respectivement de 34,7 % (Belges), 40,5 % (autres UE27) et 52,5 % (non UE27), soit un léger accroissement de l’écart entre Belges et étrangers non UE (+1,1 % d’écart). (Source : Enquête sur les Forces de travail 2013 (repris dans Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de pauvreté 2014, p. 40).
Le taux de personnes ayant un faible niveau d’instruction est aussi plus élevé – mais dans une moindre mesure – chez les femmes (41 %) que chez les hommes (36 %).
UE-27 | Belgique | Région de Bruxelles-Capitale | Région flamande | Région wallonne | |
---|---|---|---|---|---|
Femmes | 38,6 | 40,7 | 39,7 | 39,7 | 42,8 |
Hommes | 31,6 | 35,7 | 33,4 | 35,0 | 37,9 |
Total | 35,2 | 38,3 | 36,7 | 37,4 | 40,4 |
Source : SPF Économie – Direction générale Statistique et Information économique, Enquête sur les forces de travail 2009 (repris dans Baromètre social. Rapport bruxellois sur l’état de pauvreté 2010, p. 72). |
Le même document montre également que le risque de pauvreté est plus élevé chez les personnes ayant un faible niveau d’éducation (24 %, contre 7 % chez les personnes ayant un haut niveau d’éducation et 11 % chez celles ayant un niveau moyen).
Taux de risque de pauvreté (< 60 % du revenu médian) selon le niveau d’éducation, personnes de 18 ans et plus, revenus 2008
Belgique | Région flamande | Région wallonne | Région de Bruxelles-Capitale | |
---|---|---|---|---|
Faible niveau d’éducation | 23,8 % | 18,0 % | 27,6 % | - |
Niveau moyen d’éducation | 11,2 % | 8,1 % | 14,4 % | - |
Haut niveau d’éducation | 6,5 % | 4,3 % | 8, 6% | - |
Source : SPF Économie – Direction générale Statistique et Information économique, EU-SILC 2009. |
En juxtaposant ces différentes données, on voit combien le risque existe pour une frange de la population de cumuler les différents statuts – femme, immigré(e), peu formé(e), au chômage et faibles revenus.
Autres points du nouveau Code qui posent problème
Le cout de la procédure
Sans vouloir épuiser le sujet, soulignons également que le législateur a introduit dans la loi de 2012 un droit de 150 euros sur les procédures d’acquisition de la nationalité belge, ce qui risque de freiner, voire de dissuader un certain nombre de personnes à entreprendre la démarche, surtout celles qui ont de faibles revenus. Ce droit doit être acquitté avant l’introduction de la demande. Et ce sans compter les frais administratifs réclamés par la commune (variables selon les communes) chargée de vérifier si la demande est complète. Sans compter également les frais occasionnés par l’acquisition des documents à fournir (taxes mais surtout frais de déplacement, par exemple pour aller chercher un acte de naissance dans le pays d’origine ou un pays limitrophe). Sans compter enfin les frais de traduction (acte de naissance, attestation de nationalité…). Sans compter… Somme toute, une procédure qui peut couter très cher, et ce sans aucune garantie quant à l’aboutissement de la demande. Notons que les 150 euros ne sont pas remboursés en cas de demande jugée irrecevable par l’officier de l’état civil (commune) ou d’avis négatif remis par le procureur du Roi.
La formation du personnel et la qualité de l’accueil au niveau communal
Dans le Code de la nationalité issu de la loi de décembre 2012, comme dans le précédent d’ailleurs, les communes jouent un rôle important dans l’accueil et l’information du public puisqu’elles sont en première ligne pour l’introduction de la demande. Sans remettre en cause le travail des agents communaux, il est légitime de se poser la question de leur formation à la réalisation de cette tâche, devenue plus complexe avec la loi actuelle, et des conséquences entrainées par la surcharge de travail que cette loi occasionne, alors que rien n’a été prévu pour soutenir financièrement les communes [29]. Se pose également la question de la possible interférence entre leur vision de l’accueil et de l’intégration des personnes d’origine étrangère avec la qualité de l’accueil, particulièrement dans le climat économique, social et politique actuel. Le risque d’erreurs, d’arbitraire, voire d’abus n’est pas à exclure…
L’information du public
Il est tout autant légitime, et même plus, de se poser la question de l’information des publics concernés. Les questions posées par les apprenants lors du premier forum Nationalité [30] – « Quelle est la différence entre la carte B et C ? » ; « Est-ce que le fait d’avoir une fille avec la nationalité belge permet à une mère de l’avoir ? » ; « C’est quoi le niveau A2 ? » ; « Quelle est la différence entre demande de naturalisation et demande de nationalité ? » ; « Un citoyen européen peut-il demander la nationalité belge ? » ; « Un enfant né ici peut-il avoir la nationalité ? » ; « Est-ce que la Belgique accepte la double nationalité ? » ; « Un enfant qui a les deux nationalités peut-il choisir l’une ou l’autre ? » ; « Peut-on faire appel après un refus ? » ; etc. – témoignent de leur intérêt mais également d’une grande méconnaissance du droit des étrangers en général, et du Code de la nationalité en particulier. Pas étonnant quand on voit la complexité de la législation. Sans une association comme Objectif qui soutient et accompagne les personnes désirant demander la nationalité belge, comment les personnes pourraient-elles s’en sortir pour introduire et maximiser les chances de voir leur demande aboutir ? Et nous ne parlons pas ici des personnes analphabètes à qui, on l’a vu, la loi actuelle refuse de fait l’accès à la nationalité…
Les demandes en chute libre. La parole aux chiffres…
Au 1er janvier 2013, sur les 11 099 554 habitants en Belgique, la population étrangère à la naissance représentait 2 113 625 personnes (19 %), selon une estimation de l’UCL. Toujours selon cette estimation, parmi la population étrangère à la naissance, 918 503 personnes (soit 8 % de l’ensemble de la population résidant en Belgique) – dont 69 % étaient originaires d’un pays tiers – étaient devenues Belges. [31]
Selon un communiqué de presse de l’asbl Objectif [32] qui a mené l’enquête dans les communes bruxelloises, en moyenne, entre 2012 et 2013, le nombre de demandes d’acquisition de la nationalité belge a chuté de plus de 65 %
. Selon le même communiqué, la naturalisation est, quant à elle, devenue rarissime pour les raisons déjà dites.
Le rapport d’activités de 2013 de l’Office des Étrangers [33] donne des chiffres similaires : de 48 385 demandes en 2012 (total des demandes via la naturalisation et la déclaration), on est passé à 15 899 demandes en 2013, soit 67 % de demandes en moins. Nous n’avons pas trouvé de ventilation des données par niveau d’études dans ce rapport, pas plus que nous n’en avons trouvé dans le Rapport annuel 2013 du Centre fédéral Migration pour les années antérieures à 2013.
Le graphique suivant montre l’évolution du nombre d’étrangers ayant obtenu la nationalité belge entre 1962 et 2012. L’impact des assouplissements successifs de l’accès à la nationalité avec les lois de 1984, 1991 et 2000 y apparaissent clairement. Ce n’est évidemment qu’à partir de 2014 qu’on pourrait voir l’impact de la réforme apportée par la loi de 2012 (entrée en vigueur début 2013).
- Évolution du nombre d’étrangers ayant obtenu la nationalité belge, 1962-2012 (Source : DGSIE)
-
- Tiré de : Centre fédéral Migration, op. cit., p. 219.
L’asbl Objectif témoigne également de ce qu’un nombre important de personnes candidates à l’acquisition de la nationalité et venues s’informer auprès de leur service d’accueil et d’accompagnement n’entame finalement pas la procédure, et ce pour les raisons déjà évoquées : difficulté d’obtenir un extrait d’acte de naissance, conditions économiques ou de participation sociale non remplies, incapacité à passer un test linguistique vu leur analphabétisme, cout de la procédure…
Nous n’avons malheureusement pas trouvé de données statistiques ventilées selon la situation socioéconomique (revenus, profession…) ou le niveau de scolarité [34] de ceux qui ont réussi à obtenir la nationalité depuis l’entrée en application de la nouvelle loi mais il est clair, à ce stade de l’analyse, que l’acquisition de la nationalité est fortement liée à ces variables.
Conclusion : un déni démocratique
La nationalité est désormais devenue difficile d’accès pour les plus précarisés, ceux qui souvent cumulent faibles revenus, non-emploi, bas niveau de formation… Qui plus est, le critère linguistique tel qu’il est défini dans la loi de 2012 sur le Code de la nationalité, niveau A2 du Cadre européen de référence pour les langues, et ce dans les quatre compétences – comprendre, communiquer, lire, écrire – rend cette acquisition totalement inaccessible aux personnes en situation d’analphabétisme, alors que pour beaucoup la nationalité représente un atout pour l’amélioration de leur situation socioéconomique et une condition incontournable à leur participation politique. [35] La quadrature du cercle…
La possibilité de suivre une formation linguistique dans le cadre du parcours d’accueil pour primoarrivants semble avoir été conçue comme « bouée de sauvetage », notamment pour ce public ? En Wallonie et à Bruxelles (rôle linguistique francophone), aucun candidat à la nationalité n’est cependant actuellement dans la possibilité de se prévaloir d’un tel parcours (vu qu’ils n’y ont pas encore dépassé le stade expérimental) et ne le pourra dans un futur proche (vu que la durée de séjour pour accéder à un tel parcours est de maximum 3 ans). Ne nous faisons cependant pas d’illusion, même quand ces parcours seront opérationnels, la limitation du nombre d’heures de formation aura comme effet de réserver l’atteinte du niveau requis aux personnes déjà scolarisées (et plutôt les plus scolarisées que les moins scolarisées) dans leur pays d’origine. Qui d’autre qu’elles pourrait apprendre une langue en 6 mois (en Wallonie) ou 9 mois maximum (à Bruxelles) à raison de 20 heures par semaine, et ce dans les quatre compétences définies par le CECR ?
Avec la révision de 2012 de la loi sur l’acquisition de la nationalité, ce n’est donc pas seulement l’accès à la nationalité qui est en jeu, c’est la démocratie elle-même.
Cette situation est inacceptable pour Lire et Écrire. C’est pourquoi, dans son cahier de revendications adressé aux acteurs du monde politique à la veille des élections de mai 2014 [36], Lire et Écrire demandait une évaluation de la mise en application du nouveau Code de la nationalité en incluant notamment des indicateurs de genre et de niveau scolaire ; une modification de l’arrêté d’application précisant que le niveau A2 visé l’est uniquement sur les compétences orales ; des modalités d’évaluation qui ne pénalisent pas les personnes en difficulté avec l’écrit (telle que l’utilisation de l’ordinateur par exemple).
Les revendications de Lire et Écrire seront-elles entendues ?