Ce n’est évidemment pas une fatalité. Aussi, comme beaucoup d’autres associations se référant aux « fondamentaux » de l’éducation permanente [2], nous lions action pédagogique et implication politique au sens le plus large du terme, incluant la possibilité de la participation citoyenne de celles et ceux qui en sont exclu es. La réduction des inégalités est un enjeu démocratique qui mobilise de nombreux acteurs, et ce, de plus en plus, en lien avec les enjeux climatiques et environnementaux. C’est dans ce « tissu-là » que nous agissons, avec les mouvements ouvriers constitutifs de Lire et Écrire [3].
Si notre contribution dans les espaces de débat et de mobilisation est modeste – elle consiste à appuyer une meilleure connaissance et compréhension de l’illettrisme –, notre exigence ne l’est pas : la prise en compte des personnes en situation d’illettrisme dans les processus de transformation sociale, en tant que bénéficiaires de droits et de ressources mais aussi et surtout… en tant qu’auteurs de droits et ressources « en égalité et en dignité ».
Souvent, nos discours sont dans le registre de la dénonciation, du combat, de l’argumentation, de l’exigence d’un « plus juste pour tous et toutes »… ou dans celui de l’explication – rendre compte des conditions de vie des apprenant
es, des mécanismes de relégation scolaire… –, ou encore de l’explicitation de nos modes d’action, principalement nos choix et pratiques pédagogiques. Nous donnons alors à voir et à lire « du sérieux », du « pro », de l’« engagé indigné », de la « dénonciation », de la « recommandation »… De la détresse sociale aussi.Mais nous aimons aussi prendre d’autres chemins pour témoigner de l’alphabétisation, de son incroyable vitalité, de sa force de création et de transformation. C’est ce que nous vous proposons avec ce Journal de l’alpha consacré au lien entre apprentissage et plaisir…
Bien sûr, le plaisir est aussi une chose très sérieuse. Les contributions de Maria-Alice Médioni et de Michel Neumayer en témoignent particulièrement. Il y a des compétences professionnelles à mobiliser pour que le plaisir puisse émerger et s’exprimer.
Pas de baguette magique donc… Le plaisir, tout comme le désir, ne s’impose pas, ne se prescrit pas. Mais y porter la plus grande attention donne l’espace pour vivre des expériences concrètes et positives qui appuient les apprentissages et les processus de prise de confiance et d’émancipation individuelle et collective.
Au fil des contributions, au travers des différentes expériences et réflexions, le plaisir en alphabétisation est souvent partagé : dans le groupe en formation, au travers d’un projet commun, dans une équipe, entre apprenant
es et formateur rice. Le plaisir de faire partie d’un collectif, de réaliser et d’apprendre, de créer, de rencontrer… Que ce soit à travers l’appropriation de connaissances scientifiques, la lecture d’albums, la pratique du jeu… ou encore dans la formation de formateurs, apprenant es ou participant es comme formateur rices peuvent avoir « les yeux qui pétillent » de plaisir parce qu’ils ou elles ont acquis de nouvelles connaissances qui font sens, qu’un déclic s’est produit, qu’ils ou elles ont pu se surpasser, que le travail collectif a permis d’aboutir à un résultat auquel personne ne serait arrivé seul, que de nouvelles perspectives se sont ouvertes…En conclusion de ce numéro, Sabine Denghien partage, dans un récit écrit à plusieurs mains, comment l’équipe de Lire et Écrire Wallonie picarde a traversé le premier confinement lié à la crise sanitaire en préservant le sens et le plaisir d’un collectif de travail.
Tout compte fait, le plaisir semble bien contagieux…
Sylvie Pinchart, directrice,
Lire et Écrire Communauté française.