Sur la question des TIC en Alpha, la crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur. Si nous voulions poursuivre notre travail et rester en contact avec les apprenants, nous devions nous plonger dans les outils numériques et nous en emparer [2]. Un outil « n’est qu’un » support, un moyen qui appuie une intention pédagogique et concrétise une démarche d’apprentissage. La nôtre est celle de l’alphabétisation populaire. Les outils numériques qui soutiennent ce type de processus restent en grande partie à inventer et les usages des outils existants à expérimenter. Pour alimenter ce travail de conception pédagogique, vous trouverez dans ce numéro plusieurs articles relatant des pratiques et innovations. Chaque contribution se veut être un témoignage et une invitation à entrer davantage dans le monde des ressources numériques.
Toutefois, nous n’avons pas attendu la crise sanitaire pour nous intéresser aux TIC en alpha, notamment depuis plus de 10 ans avec l’appui du Fonds social européen. C’est dans un premier temps, la régionale de Lire et Écrire Bruxelles [3] qui s’est emparée plus particulièrement du sujet, autour d’un plan d’action d’équipement et de formations. Dans un second temps, face aux difficultés rencontrées sur les terrains pédagogiques, nous avons complété notre travail en rassemblant des ressources à partir de deux questions principales :
Que savons-nous effectivement des usages des TIC par les personnes en situation d’illettrisme ? Quelles sont les compétences mobilisées ? Avec quels outils et quels équipements ? Quelles difficultés rencontrent-elles et quelles finalités poursuivent-elles ?
Trois contributions apportent un éclairage sur ces questions, celle d’Aurélie Leroy qui dresse un portrait de ce que nous renseignent les études quantitatives, celle de Dominique Pasquier, sur les usages des TIC en milieu rural par des employé⋅es des services à la personne et celle d’Iria Galván Castaño qui porte sur un sondage d’une centaine d’apprenant⋅es bruxellois⋅es.
Comment s’opère la digitalisation des services publics, privés et d’intérêt général ? Quelle prise en compte des multiples situations des personnes « non connectées » ou « ne maitrisant pas les usages attendus ?
Au travers d’une étude menée par l’Université catholique de Louvain, Périne Brotcorne nous apporte une réponse claire : la numérisation de ces services est un « impensé », à fortiori pour les publics éloignés… même si ceux-ci au titre de citoyen⋅ne en sont aussi les contributeurs et les utilisateurs. Ces derniers mois, le confinement et les règles de distanciation sociale ont accéléré ce processus dans l’urgence, avec des effets d’exclusion sur des actes élémentaires tels que la déclaration de naissance d’un enfant ou de non accès à l’aide sociale pour des personnes en situation de détresse humanitaire. La prise de conscience est encore trop timide au niveau des acteurs publics, et quand elle existe, elle s’accompagne parfois de demandes pour le moins surprenantes envers l’associatif, invité à suppléer sans moyens de le faire.
Mais nous, à Lire et Écrire, comment avons-nous pensé ou impensé notre entrée dans le numérique ? Comme souvent, à la croisée de préoccupations pédagogiques, culturelles, sociales et politiques… avec de la réflexion et des débats internes, avec des expérimentations, en construisant des collaborations, en allant chercher des ressources diverses… Les contributions de Fabien Masson sur les logiciels libres et l’approche critique des TIC par Daniel Flinker témoignent de nos réflexions internes. Nous sommes donc loin d’un plan d’action digitalisation « clé en main », nous sommes « en chantier »… Ce qui n’empêche pas de travailler au cœur de nos enjeux fondamentaux : créer des opportunités pour permettre aux personnes en situation d’illettrisme / d’analphabétisme d’être acteur à part entière de l’évolution digitale et porter avec d’autres l’exigence politique de la prise en compte de ces personnes dans la transition numérique.
Cette question est au centre de notre campagne annuelle à destination du grand public, avec quatre spots de sensibilisation qui mettent en scène le personnage de Rosa, jeune femme piégée face à la dématérialisation brutale et généralisée des services. Pleine de ressources, mais utilisatrice peu lettrée des TIC, elle se voit mise à l’écart de cette société qui a pensé ce virage sans prendre en compte les besoins de sa population.
Sylvie
Lire et Écrire Communauté française.