Par Catherine Bastyns.
D’autre part, comme l’indiquent les chiffres qu’on vient de mentionner, cette augmentation s’accompagne d’une inversion de la proportion de bénévoles par rapport aux travailleurs rémunérés, à mesure que la reconnaissance et le financement de l’alphabétisation par les pouvoirs publics a permis d’engager davantage de salariés. Alors que les bénévoles constituaient plus de 60 % du personnel du secteur jusqu’au milieu des années 90, et cela dans les deux Régions, les 515 bénévoles actifs en 2010 en représentaient 36 % (29 % à Bruxelles, 44 % en Wallonie).
C’est d’ailleurs l’accroissement du personnel rémunéré par rapport aux bénévoles qui explique qu’en vingt ans le nombre d’intervenants se soit multiplié « seulement » par trois, alors que sur le même temps le nombre d’apprenants se multipliait par cinq, passant de 3 183 en 1990 à 16 551 en 2010. En effet, le temps de travail que les bénévoles peuvent généralement consacrer aux projets est évidemment moindre que celui presté par les travailleurs salariés.
Acteurs historiques de l’alphabétisation, les bénévoles sont cependant présents aujourd’hui encore dans plus de la moitié des organismes offrant des formations d’alpha [5].
Au-delà de ces deux évolutions majeures, le profil du personnel reste au contraire globalement assez constant, sauf sur un point : la diversification des fonctions assurées par les travailleurs rémunérés. On examine ci-après plus en détail ce qui change et ce qui se maintient parmi les diverses caractéristiques du personnel.
Genre
C’est seulement depuis 1997 que l’enquête a relevé la répartition du personnel selon le sexe, d’abord pour l’ensemble des intervenants, rémunérés et bénévoles confondus, ensuite (à partir de 2001) en distinguant au sein de ces deux groupes. Le double graphique ci-dessous présente d’abord l’évolution globale à Bruxelles et en Wallonie [6].
Les femmes sont très largement majoritaires au sein du personnel : au moins 80 % en 1997, à peine moins en 2010, si bien qu’elles sont encore plus nombreuses parmi le personnel que parmi le public (pour comparaison, en 2010 les femmes représentaient 69 % des apprenants à Bruxelles, 60 % en Wallonie). Malgré la croissance importante, les proportions femmes-hommes évoluent donc fort peu, même si une légère tendance vers un personnel plus masculin se décèle dans les deux Régions.
Si cette surreprésentation des femmes est en lien avec le fait que de nombreux organismes s’adressent exclusivement à un public féminin (près du quart d’entre eux, le phénomène étant plus marqué à Bruxelles), elle constitue surtout un exemple de plus de la division traditionnelle du travail selon les sexes : aux femmes reviennent les métiers de l’aide et des soins aux personnes, les métiers requérant une bonne maitrise de la langue, un intérêt pour la communication et l’écoute, l’enseignement, etc. – et également les emplois dans les secteurs économiquement les moins « payants ». En ce sens, la relative stabilisation du secteur, qui a permis de pérenniser les emplois, d’aligner les barèmes selon les fonctions exercées, etc., du moins chez les opérateurs déjà bien en place, explique peut-être qu’il attire progressivement un peu plus de travailleurs masculins.
Nous avons testé cette hypothèse en examinant l’évolution par genre en distinguant rémunérés et bénévoles [7], la dimension économique n’entrant pas en jeu pour ces derniers. Comme le montre le quadruple graphique à la page suivante, la proportion d’hommes croit effectivement parmi le personnel rémunéré tant à Bruxelles qu’en Wallonie, bien que faiblement. Parmi les bénévoles, l’évolution diverge selon les Régions : à Bruxelles, où les hommes étaient déjà très peu nombreux, ils le deviennent encore moins (19 % des bénévoles en 2001, 15 % en 2010 – soit en nombre 28 puis 25 personnes) ; en Wallonie, où ils étaient déjà relativement nombreux, ils le deviennent encore plus (26 % des bénévoles en 2001, 29 % en 2010 – soit en nombre 81 puis 100 personnes). C’est donc parmi les bénévoles en Wallonie qu’on trouve la répartition la plus équilibrée sur le plan du genre.
Évolution des fonctions
Vers le milieu des années 90, une discussion advint dans le groupe de travail qui planchait sur les aménagements à apporter au questionnaire de l’enquête de Lire et Écrire : pour désigner les personnes travaillant en alpha, quel terme rencontrerait le mieux les pratiques et les représentations des organismes ? Fallait-il dire animateurs, terme en usage depuis les premières enquêtes, ou serait-il plus adéquat que les questions portent sur les formateurs ? C’est ce dernier terme, jugé plus général, qui fut choisi. La problématique des différences entre animer, former, éduquer, enseigner… et ce que ces notions induisent quant aux options pédagogiques et aux types de relations mises en place au sein des groupes n’a pas perdu sa pertinence. Ce qui a changé par contre, c’est la part du personnel directement impliqué dans les formations, animations, cours… auprès des apprenants – quel que soit le nom qu’on leur donne. Comme le laisse entendre la discussion qu’on vient d’évoquer, on concevait difficilement à l’époque que certains travailleurs puissent se consacrer entièrement ou principalement à d’autres tâches que l’animation ou la formation. Le secteur de l’alphabétisation se caractérisait depuis l’origine par une grande polyvalence des membres de l’équipe, chaque animateur-formateur contribuant peu ou prou au travail administratif, à l’accueil des apprenants, aux relations extérieures, à l’analyse des actions, etc. Les personnes qui assuraient la coordination (on ne parlait pas non plus alors de direction…) conservaient généralement un volume de formation pour garder le contact avec le public et les questions pédagogiques.
Ce mode d’organisation collectif-spontané a progressivement cédé le pas à une organisation plus structurée, avec une division du travail plus importante à mesure que croissait le public, que les organismes se spécialisaient, que les exigences quant à la qualité pédagogique se précisaient, et que de nouvelles sources de financement exigeaient plus de rigueur et/ou plus de paperasserie (critères d’éligibilité des publics et des actions dans les différents programmes, décompte des apprenants et des heures de formation, comptes à tenir et rapports d’activité à produire selon des logiques différentes en fonction des subventions, etc.). Il faut cependant attendre l’enquête 1997-98 pour que les questions, relatives depuis lors au personnel d’encadrement, permettent de traduire que tous les travailleurs de l’organisme ne sont pas directement impliqués dans l’animation-formation : c’est seulement alors qu’apparait dans l’enquête une question visant les différentes fonctions exercées. Comme c’est souvent le cas, la modification dans la récolte des données suivait une évolution déjà largement amorcée dans les faits. Notons toutefois que cette diversification des fonctions concerne essentiellement le personnel rémunéré, les bénévoles restant eux quasi tous formateurs, nous y reviendrons plus loin.
La spécialisation du personnel rémunéré
Dans un premier temps, pour l’année 1997-98 donc, l’enquête distingua seulement trois types de fonction : formation, coordination, secrétariat. Vu l’évolution du secteur, s’y ajoutèrent ensuite l’accueil et le suivi des apprenants ainsi que l’orientation/réorientation des apprenants et candidats-apprenants. Puis au début des années 2000 une catégorie « autre », d’abord peu fournie (1 % du personnel rémunéré en 2001), mais qui crût si rapidement (8 % en 2004) qu’on ajouta encore en 2007 une catégorie « développement ». En sorte qu’au final les fonctions se répartissent ainsi :
- Pédagogique : formateurs, animateurs, ainsi que la supervision / coordination pédagogique ;
- Coordination : direction, coordination des projets… ;
- Administratif : secrétariat, comptabilité… ;
- Accueil, orientation, suivi des apprenants…
- Développement : études, amélioration de la qualité, sensibilisation…
- Autre : ou l’on retrouve également certains aspects du développement (consolidation de l’organisme, recherche de moyens…), la maintenance (notamment informatique) ainsi que l’entretien lorsqu’il est assuré par du personnel interne (ce qui est relativement rare).
Le graphique ci-dessus montre l’évolution du nombre de travailleurs rémunérés selon la fonction principale qu’ils exercent, étant entendu que certains ont parfois plusieurs fonctions.
Pour la lisibilité, nous avons regroupé les deux dernières catégories, « Développement » et « Autre », qui représentaient en 2010 respectivement 4,5 % et 2,5 % du personnel, soit 7 % au total.
Les données sont présentées ici pour l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les écarts entre Régions étant assez faibles à cet égard. Nous reviendrons toutefois sur certaines différences reflétant des particularités de l’organisation des actions dans les deux Régions.
Le graphique illustre bien que la récolte d’information sur les fonctions exercées intervient largement après que la tendance à la spécialisation des travailleurs rémunérés se soit enclenchée : dès 1998 le quart du personnel, que l’on désignait l’année précédente encore globalement comme « les formateurs », était affecté à d’autres tâches que la formation. La proportion de personnel pédagogique – 237 personnes en 1998, soit 75 % de l’ensemble – diminue encore ensuite pour se stabiliser dès le milieu des années 2000 autour d’un peu plus de 60 % : 64 % en 2004 (381 personnes), 62 % en 2007 (502 personnes), 61 % en 2010 (549 personnes). Ce qui n’empêche pas qu’en nombre de personnes cette catégorie ait plus que doublé sur la période.
C’est également le cas du personnel assurant la direction de l’organisme (ou la direction de son pôle alpha, ou encore la coordination des projets), lequel double lui aussi, passant de 55 personnes en 1998 à 116 en 2010, bien que sur le même temps sa part dans l’ensemble des rémunérés diminue : autour de 18 % jusqu’en 2001, environ 13 % à partir du milieu des années 2000.
Il est intéressant de mettre ces diminutions relatives en lien avec l’observation faite ailleurs quant à l’augmentation de la taille des organismes [8]. De 1994 à 2010, pour l’ensemble des opérateurs d’alpha en Fédération Wallonie-Bruxelles, le nombre moyen d’apprenants par organisme est en effet passé de 57 à 86, soit une augmentation de plus de 50 %. On peut faire l’hypothèse que ce développement permet une économie d’échelle. Un organisme peut en effet grandir jusqu’à un certain point et accueillir plus d’apprenants sans qu’il soit nécessaire de multiplier le personnel chargé de la direction ou de la coordination. La même « économie » peut être réalisée en ce qui concerne le personnel chargé des formations : avec un public plus nombreux, il est plus aisé de constituer des groupes de taille moyenne (environ 14 apprenants), alors qu’un opérateur souhaitant réaliser une offre un tant soit peu étoffée pour un public moins nombreux risque d’avoir des groupes plus petits, donc un taux d’encadrement plus élevé.
La proportion de personnel administratif est quant à elle en légère augmentation, passant de 8 % en 1998 (24 personnes) à 12 % en 2010 (108 personnes).
Les deux dernières catégories illustrées dans le graphique n’étaient pas encore recensées en 1998 mais apparaissent au début des années 2000. Rappelons qu’il s’agit d’une part du personnel affecté à l’accueil, à l’orientation et au suivi des apprenants, d’autre part du personnel chargé du développement et des fonctions « autres », soit la recherche, la sensibilisation, etc. Dans les deux cas, le volume de ce personnel varie peu depuis qu’il a pu prendre place : 6 à 7 % des travailleurs en ce qui concerne l’accueil et l’orientation, 7 % pour les fonctions de développement et autres.
Quelques différences régionales
La répartition des travailleurs rémunérés selon les fonctions qu’ils exercent est globalement assez similaire dans les deux Régions, mais les quelques différences qu’on observe concordent avec certaines spécificités régionales. Le double graphique ci-dessous illustre les proportions en 2010, mais celles-ci ont peu varié depuis le milieu des années 2000.