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Continuité et changements dans le profil du personnel de l’alpha à Bruxelles et en Wallonie

Évolution de 1990 à 2010

Complément au Journal de l’alpha no 190.

Les évolutions majeures quant au personnel travaillant en alpha [1] ont été largement décrites dans deux articles du Journal de l’alpha no 190 [2]. Nous les rappelons brièvement ici. Il s’agit d’abord de la croissance du personnel : en 1990 [3], l’enquête réalisée par Lire et Écrire dénombrait 462 intervenants (169 rémunérés et 293 bénévoles) ; vingt ans plus tard, ce chiffre avait triplé, passant à 1 414 (899 rémunérés et 515 bénévoles) [4].

Par Catherine Bastyns.

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D’autre part, comme l’indiquent les chiffres qu’on vient de mentionner, cette augmentation s’accompagne d’une inversion de la proportion de bénévoles par rapport aux travailleurs rémunérés, à mesure que la reconnaissance et le financement de l’alphabétisation par les pouvoirs publics a permis d’engager davantage de salariés. Alors que les bénévoles constituaient plus de 60 % du personnel du secteur jusqu’au milieu des années 90, et cela dans les deux Régions, les 515 bénévoles actifs en 2010 en représentaient 36 % (29 % à Bruxelles, 44 % en Wallonie).

C’est d’ailleurs l’accroissement du personnel rémunéré par rapport aux bénévoles qui explique qu’en vingt ans le nombre d’intervenants se soit multiplié « seulement » par trois, alors que sur le même temps le nombre d’apprenants se multipliait par cinq, passant de 3 183 en 1990 à 16 551 en 2010. En effet, le temps de travail que les bénévoles peuvent généralement consacrer aux projets est évidemment moindre que celui presté par les travailleurs salariés.

Acteurs historiques de l’alphabétisation, les bénévoles sont cependant présents aujourd’hui encore dans plus de la moitié des organismes offrant des formations d’alpha [5].

Au-delà de ces deux évolutions majeures, le profil du personnel reste au contraire globalement assez constant, sauf sur un point : la diversification des fonctions assurées par les travailleurs rémunérés. On examine ci-après plus en détail ce qui change et ce qui se maintient parmi les diverses caractéristiques du personnel.

Genre

C’est seulement depuis 1997 que l’enquête a relevé la répartition du personnel selon le sexe, d’abord pour l’ensemble des intervenants, rémunérés et bénévoles confondus, ensuite (à partir de 2001) en distinguant au sein de ces deux groupes. Le double graphique ci-dessous présente d’abord l’évolution globale à Bruxelles et en Wallonie [6].

Les femmes sont très largement majoritaires au sein du personnel : au moins 80 % en 1997, à peine moins en 2010, si bien qu’elles sont encore plus nombreuses parmi le personnel que parmi le public (pour comparaison, en 2010 les femmes représentaient 69 % des apprenants à Bruxelles, 60 % en Wallonie). Malgré la croissance importante, les proportions femmes-hommes évoluent donc fort peu, même si une légère tendance vers un personnel plus masculin se décèle dans les deux Régions.

Si cette surreprésentation des femmes est en lien avec le fait que de nombreux organismes s’adressent exclusivement à un public féminin (près du quart d’entre eux, le phénomène étant plus marqué à Bruxelles), elle constitue surtout un exemple de plus de la division traditionnelle du travail selon les sexes : aux femmes reviennent les métiers de l’aide et des soins aux personnes, les métiers requérant une bonne maitrise de la langue, un intérêt pour la communication et l’écoute, l’enseignement, etc. – et également les emplois dans les secteurs économiquement les moins « payants ». En ce sens, la relative stabilisation du secteur, qui a permis de pérenniser les emplois, d’aligner les barèmes selon les fonctions exercées, etc., du moins chez les opérateurs déjà bien en place, explique peut-être qu’il attire progressivement un peu plus de travailleurs masculins.

Nous avons testé cette hypothèse en examinant l’évolution par genre en distinguant rémunérés et bénévoles [7], la dimension économique n’entrant pas en jeu pour ces derniers. Comme le montre le quadruple graphique à la page suivante, la proportion d’hommes croit effectivement parmi le personnel rémunéré tant à Bruxelles qu’en Wallonie, bien que faiblement. Parmi les bénévoles, l’évolution diverge selon les Régions : à Bruxelles, où les hommes étaient déjà très peu nombreux, ils le deviennent encore moins (19 % des bénévoles en 2001, 15 % en 2010 – soit en nombre 28 puis 25 personnes) ; en Wallonie, où ils étaient déjà relativement nombreux, ils le deviennent encore plus (26 % des bénévoles en 2001, 29 % en 2010 – soit en nombre 81 puis 100 personnes). C’est donc parmi les bénévoles en Wallonie qu’on trouve la répartition la plus équilibrée sur le plan du genre.

Évolution de la proportion du genre du personnel bénévole et rémunéré
  Personnel rémunéré Personnel bénévole
Bruxelles

Wallonie

Évolution des fonctions

Vers le milieu des années 90, une discussion advint dans le groupe de travail qui planchait sur les aménagements à apporter au questionnaire de l’enquête de Lire et Écrire : pour désigner les personnes travaillant en alpha, quel terme rencontrerait le mieux les pratiques et les représentations des organismes ? Fallait-il dire animateurs, terme en usage depuis les premières enquêtes, ou serait-il plus adéquat que les questions portent sur les formateurs ? C’est ce dernier terme, jugé plus général, qui fut choisi. La problématique des différences entre animer, former, éduquer, enseigner… et ce que ces notions induisent quant aux options pédagogiques et aux types de relations mises en place au sein des groupes n’a pas perdu sa pertinence. Ce qui a changé par contre, c’est la part du personnel directement impliqué dans les formations, animations, cours… auprès des apprenants – quel que soit le nom qu’on leur donne. Comme le laisse entendre la discussion qu’on vient d’évoquer, on concevait difficilement à l’époque que certains travailleurs puissent se consacrer entièrement ou principalement à d’autres tâches que l’animation ou la formation. Le secteur de l’alphabétisation se caractérisait depuis l’origine par une grande polyvalence des membres de l’équipe, chaque animateur-formateur contribuant peu ou prou au travail administratif, à l’accueil des apprenants, aux relations extérieures, à l’analyse des actions, etc. Les personnes qui assuraient la coordination (on ne parlait pas non plus alors de direction…) conservaient généralement un volume de formation pour garder le contact avec le public et les questions pédagogiques.

Ce mode d’organisation collectif-spontané a progressivement cédé le pas à une organisation plus structurée, avec une division du travail plus importante à mesure que croissait le public, que les organismes se spécialisaient, que les exigences quant à la qualité pédagogique se précisaient, et que de nouvelles sources de financement exigeaient plus de rigueur et/ou plus de paperasserie (critères d’éligibilité des publics et des actions dans les différents programmes, décompte des apprenants et des heures de formation, comptes à tenir et rapports d’activité à produire selon des logiques différentes en fonction des subventions, etc.). Il faut cependant attendre l’enquête 1997-98 pour que les questions, relatives depuis lors au personnel d’encadrement, permettent de traduire que tous les travailleurs de l’organisme ne sont pas directement impliqués dans l’animation-formation : c’est seulement alors qu’apparait dans l’enquête une question visant les différentes fonctions exercées. Comme c’est souvent le cas, la modification dans la récolte des données suivait une évolution déjà largement amorcée dans les faits. Notons toutefois que cette diversification des fonctions concerne essentiellement le personnel rémunéré, les bénévoles restant eux quasi tous formateurs, nous y reviendrons plus loin.

La spécialisation du personnel rémunéré

Dans un premier temps, pour l’année 1997-98 donc, l’enquête distingua seulement trois types de fonction : formation, coordination, secrétariat. Vu l’évolution du secteur, s’y ajoutèrent ensuite l’accueil et le suivi des apprenants ainsi que l’orientation/réorientation des apprenants et candidats-apprenants. Puis au début des années 2000 une catégorie « autre », d’abord peu fournie (1 % du personnel rémunéré en 2001), mais qui crût si rapidement (8 % en 2004) qu’on ajouta encore en 2007 une catégorie « développement ». En sorte qu’au final les fonctions se répartissent ainsi :

  • Pédagogique : formateurs, animateurs, ainsi que la supervision / coordination pédagogique ;
  • Coordination : direction, coordination des projets… ;
  • Administratif : secrétariat, comptabilité… ;
  • Accueil, orientation, suivi des apprenants…
  • Développement : études, amélioration de la qualité, sensibilisation…
  • Autre : ou l’on retrouve également certains aspects du développement (consolidation de l’organisme, recherche de moyens…), la maintenance (notamment informatique) ainsi que l’entretien lorsqu’il est assuré par du personnel interne (ce qui est relativement rare).

Le graphique ci-dessus montre l’évolution du nombre de travailleurs rémunérés selon la fonction principale qu’ils exercent, étant entendu que certains ont parfois plusieurs fonctions.

Pour la lisibilité, nous avons regroupé les deux dernières catégories, « Développement » et « Autre », qui représentaient en 2010 respectivement 4,5 % et 2,5 % du personnel, soit 7 % au total.

Les données sont présentées ici pour l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les écarts entre Régions étant assez faibles à cet égard. Nous reviendrons toutefois sur certaines différences reflétant des particularités de l’organisation des actions dans les deux Régions.

Le graphique illustre bien que la récolte d’information sur les fonctions exercées intervient largement après que la tendance à la spécialisation des travailleurs rémunérés se soit enclenchée : dès 1998 le quart du personnel, que l’on désignait l’année précédente encore globalement comme « les formateurs », était affecté à d’autres tâches que la formation. La proportion de personnel pédagogique – 237 personnes en 1998, soit 75 % de l’ensemble – diminue encore ensuite pour se stabiliser dès le milieu des années 2000 autour d’un peu plus de 60 % : 64 % en 2004 (381 personnes), 62 % en 2007 (502 personnes), 61 % en 2010 (549 personnes). Ce qui n’empêche pas qu’en nombre de personnes cette catégorie ait plus que doublé sur la période.

C’est également le cas du personnel assurant la direction de l’organisme (ou la direction de son pôle alpha, ou encore la coordination des projets), lequel double lui aussi, passant de 55 personnes en 1998 à 116 en 2010, bien que sur le même temps sa part dans l’ensemble des rémunérés diminue : autour de 18 % jusqu’en 2001, environ 13 % à partir du milieu des années 2000.

Il est intéressant de mettre ces diminutions relatives en lien avec l’observation faite ailleurs quant à l’augmentation de la taille des organismes [8]. De 1994 à 2010, pour l’ensemble des opérateurs d’alpha en Fédération Wallonie-Bruxelles, le nombre moyen d’apprenants par organisme est en effet passé de 57 à 86, soit une augmentation de plus de 50 %. On peut faire l’hypothèse que ce développement permet une économie d’échelle. Un organisme peut en effet grandir jusqu’à un certain point et accueillir plus d’apprenants sans qu’il soit nécessaire de multiplier le personnel chargé de la direction ou de la coordination. La même « économie » peut être réalisée en ce qui concerne le personnel chargé des formations : avec un public plus nombreux, il est plus aisé de constituer des groupes de taille moyenne (environ 14 apprenants), alors qu’un opérateur souhaitant réaliser une offre un tant soit peu étoffée pour un public moins nombreux risque d’avoir des groupes plus petits, donc un taux d’encadrement plus élevé.

La proportion de personnel administratif est quant à elle en légère augmentation, passant de 8 % en 1998 (24 personnes) à 12 % en 2010 (108 personnes).

Les deux dernières catégories illustrées dans le graphique n’étaient pas encore recensées en 1998 mais apparaissent au début des années 2000. Rappelons qu’il s’agit d’une part du personnel affecté à l’accueil, à l’orientation et au suivi des apprenants, d’autre part du personnel chargé du développement et des fonctions « autres », soit la recherche, la sensibilisation, etc. Dans les deux cas, le volume de ce personnel varie peu depuis qu’il a pu prendre place : 6 à 7 % des travailleurs en ce qui concerne l’accueil et l’orientation, 7 % pour les fonctions de développement et autres.

Quelques différences régionales

La répartition des travailleurs rémunérés selon les fonctions qu’ils exercent est globalement assez similaire dans les deux Régions, mais les quelques différences qu’on observe concordent avec certaines spécificités régionales. Le double graphique ci-dessous illustre les proportions en 2010, mais celles-ci ont peu varié depuis le milieu des années 2000.

La Wallonie se distingue par une proportion légèrement moindre de personnel pédagogique parmi les rémunérés (59,5 %, contre 63,5 % à Bruxelles), ce qui peut s’expliquer, du moins en partie, par le nombre plus important de bénévoles dans les projets d’alpha dans cette Région. Les bénévoles sont en effet deux fois plus nombreux en Wallonie qu’à Bruxelles (respectivement 344 et 171 personnes), et comme ils interviennent quasi tous comme formateurs, ils constituent en Wallonie un apport conséquent pour les actions de formation, qui peut avoir une incidence sur la part de personnel rémunéré affecté au pôle pédagogique.

Une autre différence concerne la part du personnel dévolu à l’accueil, au suivi, à l’orientation…, plus importante à Bruxelles (9 %) qu’en Wallonie (6 %). Au moins deux caractéristiques du secteur bruxellois de l’alpha peuvent y contribuer. D’une part le plus grand nombre d’organismes (96, contre 70 en Wallonie) : chaque organisme devant nécessairement assurer l’accueil et le suivi des apprenants, le personnel affecté à ces fonctions tend à augmenter avec le nombre d’organismes, quand bien même ces fonctions sont parfois exercées par des personnes dont ce n’est pas la tâche principale. Un second facteur pourrait être la plus forte pression de la demande qu’on observe dans la capitale. Chaque année, les opérateurs d’alpha sont contraints de « refuser » de milliers de candidats-apprenants parce que les groupes sont complets, qu’il manque de moyens, de formateurs, de place…, ou encore parce que les candidats aux formations ne correspondent pas au public-cible de l’alpha [9]. Le nombre de ces « refus », au total 7 569 pour Bruxelles et la Wallonie, est près de trois fois plus élevé à Bruxelles. Or ces personnes ont été accueillies et ne sont pas renvoyées sans plus, mais réorientées, mises en liste d’attente, etc. – toutes choses représentant un surcroit de travail pour le pôle accueil à Bruxelles.

On pourrait encore mentionner une troisième différence concernant le volume du personnel administratif (respectivement 14 % en Wallonie, 10 % à Bruxelles), qui fait écho cette fois au financement du secteur. Les projets d’alpha wallons sont soutenus de manière prédominante par des budgets relatifs à l’insertion socio­professionnelle ; à titre d’exemple, en 2010, on dénombrait 3 455 apprenants en contrat de formation « F 70 » en Wallonie, soit quatre fois plus qu’à Bruxelles (803) [10]. Or la gestion administrative pour l’obtention de subventions ISP est fort lourde (critères d’éligibilité du public, comptage des heures, vérification des présences, défraiements alloués aux apprenants…), et représente donc un surcroit de travail pour le pôle administratif en Wallonie.

Même si les différences entre les deux Régions quant à la répartition du personnel selon sa fonction sont relativement faibles (4 % au maximum), elles illustrent bien qu’à côté des facteurs internes (le projet des organismes, la place accordée au volontariat…), des facteurs externes (la pression de la demande, les politiques publiques…) contribuent à modeler la configuration des équipes.

Fonctions exercées par les bénévoles

On a dit plus haut que la diversification des fonctions observée au sein du personnel rémunéré n’a pas concerné les bénévoles, en sorte qu’en 2010 comme auparavant, ils avaient quasi tous la formation pour fonction exclusive ou du moins principale. Cette assertion mérite toutefois d’être quelque peu affinée.

On rappellera d’abord que certains projets d’alpha, certes peu nombreux, fonctionnent exclusivement ou très majoritairement avec des bénévoles [11]. Or dans ces projets, les intervenants ont souvent la polyvalence qui caractérisait le secteur de l’alpha à ses débuts.

Par ailleurs, comme l’illustre le graphique ci-contre, on observe une légère tendance à la hausse des bénévoles dont l’activité principale se situe « hors formation » : ils étaient 2,5 % en 1998, 4 % en 2004, et 6 % en 2010. Signalons à cet égard que l’équation « bénévole = formateur », qui semble si évidente dans le secteur de l’alpha à Bruxelles et en Wallonie, ne l’est pas autant qu’on croit. Ainsi, dans le réseau de Lire et Écrire Suisse romande, où les bénévoles sont bien plus nombreux que chez nous, ils sont beaucoup moins souvent formateurs : on les retrouve davantage dans des fonctions telles que l’accueil, le secrétariat, l’aide à la gestion, l’accompagnement des apprenants, l’organisation de sorties ou d’évènements, la maintenance, etc. Dans le même ordre d’idées, on a par exemple vu apparaitre chez nous des bénévoles intervenant comme écrivains publics.

Niveau de formation initiale et domaine de formation

Le niveau de formation initiale du personnel tant bénévole que rémunéré a globalement peu varié au fil du temps.

En ce qui concerne les rémunérés, plus des deux-tiers sont universitaires ou diplômés de l’enseignement supérieur, et cela tout au long de la période (1997 à 2010) illustrée par le tableau et le graphique suivants.

Nombre de rémunérés par niveau d’études. 1997 à 2010
Niveau 1997 2001 2006 2010
Total
327
432
712
899
Universitaire
60
116
190
235
Sup. non universitaire
157
204
290
356
CESS
75
76
131
184
CESI
26
25
54
72
CEB
1
8
36
40
Total niveaux connus
319
429
701
887
Universitaire
19 %
27 %
27 %
26,5 %
Sup. non universitaire
49 %
48 %
41 %
40 %
CESS
24 %
18 %
19 %
21 %
CESI
8 %
6 %
8 %
8 %
CEB
0 %
2 %
5 %
4,5 %
Total univ. + sup. non univ. 68 % 75 % 68 %
66,5 %

 

Les légères variations qu’on observe peuvent être détaillées comme suit. D’une part une redistribution au sein des deux niveaux les plus élevés, avec une augmentation des universitaires et corrélativement une diminution des non universitaires, la proportion globale restant fort constante [12]. D’autre part une faible augmentation des travailleurs rémunérés dont le niveau de formation initiale ne dépasse pas le CESI (secondaire inférieur), en ce inclus ceux disposant au mieux du CEB. Hormis la prise en compte de personnel d’entretien salarié par les organismes, ceci tient notamment à l’engagement d’anciens apprenants, impliqués dans l’accueil des nouveaux et dans des actions de sensibilisation où leur expérience et leur motivation s’avèrent particulièrement stimulantes ; une telle pratique est plus fréquente en Wallonie. Un autre facteur de cette augmentation a été une politique de recrutement tout-à-fait particulière des rémunérés dans le cadre du Plan bruxellois pour l’alphabétisation : des personnes majoritairement CESI ont été engagées dans ce cadre après avoir suivi une formation spécifique organisée par Lire et Écrire Bruxelles pour pouvoir assurer la fonction de formateur.

Le niveau de formation initiale des bénévoles est encore plus élevé que celui des rémunérés. En 2010, 32 % d’entre eux étaient universitaires et 54 % diplômés de l’enseignement supérieur non universitaire (« A1 »), soit au total 86 %. Et le nombre de bénévoles ayant au mieux le CESI était infime : 15 personnes, soit à peine 3 %.

Les variations durant la période envisagée sont faibles et reflètent plutôt la hausse du niveau d’études dans l’ensemble de la population. On comptait ainsi 77 % de bénévoles de niveau universitaire ou A1 en 1997 et en 2001 ; cette proportion passait à 82 % en 2006, et comme on vient de le voir à 86 % en 2010.

Quant au domaine de formation dans lequel le personnel s’est formé initialement, on observe une évolution assez importante de 1997 à 2010, surtout en ce qui concerne les rémunérés. Ceci s’explique aisément par la diversification des fonctions au cours de la période, analysée ci-dessus. En 2010, 31,5 % des rémunérés avaient au départ une formation de type pédagogique, 21 % dans le domaine social (sociologie, assistant social…) et une minorité dans le domaine psychologique (5 %) ; 43 % avaient mené d’autres genres d’études, ou arrêté leur cursus avant de choisir une orientation. Comme deux de ces catégories étaient regroupées antérieurement (social et psychologique), nous les avons additionnées pour pouvoir faire la comparaison avec 1997 illustrée par le tableau suivant.

Domaine de formation initiale Rémunérés Bénévoles
1997 2010 1997 2010
Pédagogique
41,5 %
31,5 %
42,5 %
50 %
Social et psy
35 %
25,5 %
15 %
13 %
Autres
23,5 %
43 % 42,5 %
37 %

Parmi le personnel rémunéré, on observe une diminution des intervenants ayant au départ une formation de type pédagogique, proportion qui passe de 41,5 % en 1997 à 31,5 % en 2010. Ceci concorde avec la diminution des rémunérés exerçant une fonction pédagogique, dont la proportion passait dans le même temps de 75 % à 61 %. L’augmentation de la catégorie « Autres formations initiales » pourrait elle aussi refléter la diversification des fonctions ainsi qu’une tendance à recruter des personnes venant d’horizons divers, moyennant des formations leur permettant de s’intégrer dans le secteur de l’alphabétisation.

Le profil des bénévoles reste nettement plus constant sous cet angle, à l’instar de la fonction principale qu’ils exercent puisque, comme on l’a vu, ils étaient et sont restés quasi tous formateurs. La proportion de ceux dont la formation initiale était de type pédagogique, déjà élevée en 1997 (42,5 %), passe à 50 % en 2010. Ceci est à mettre en lien avec l’augmentation des bénévoles pensionnés ou prépensionnés (64 % en 2010, comme on le verra ci-après) qui sont souvent d’anciens enseignants. Ce qui n’empêche pas que les bénévoles suivent généralement une formation spécifique avant ou au début de leur entrée en fonction en alpha. Et ils sont invités, comme tous les travailleurs du secteur, à suivre régulièrement des modules de formation continuée.

Temps de travail presté en alpha

Toutes les statistiques envisagées jusqu’ici pour esquisser les caractéristiques du personnel sont établies selon le nombre de personnes. Bien que ces données correspondent à une réalité certaine dans la vie quotidienne (les équipes se composent effectivement de telles ou telles personnes, dotées de telles caractéristiques, chargées de telle fonction, avec tel statut, etc.), elles entrainent un biais puisque le poids relatif de ces personnes, tant au sein des équipes que pour l’analyse globale du secteur, diffère selon le temps de travail qu’elles prestent effectivement.

Contribution des bénévoles en termes de temps de travail

C’est évidemment entre rémunérés et bénévoles que la différence quant au temps de travail s’exprime de la manière la plus flagrante. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2010, les 899 rémunérés (64 % du personnel) prestaient au total 645,2 équivalents temps plein (ETP), soit 90 % du temps de travail total fourni dans le secteur, tandis que les 515 bénévoles (36 % du personnel), qui globalisaient 69,4 ETP, en prestaient 10 % [13]. Ces proportions étaient quasi identiques les trois années précédentes.

En 2010, la grande majorité des bénévoles (79 %) prestaient 2 à 6 h par semaine, 15 % plus de 6 h/semaine, et une minorité moins de 2 h/semaine (31 personnes, soit 6 %). La répartition des bénévoles selon le nombre d’heures qu’ils consacrent par semaine à l’alphabétisation est globalement fort stable, l’évolution qu’on peut relever à cet égard se situant au niveau des deux plus petites catégories, qui ont pour ainsi dire permuté. Treize ans plus tôt en effet, en 1997, on trouvait quasiment la même proportion de bénévoles prestant de 2 à 6 h (80,5 %), mais ceux qui consacraient un temps plus long étaient 6,5 %, tandis que les bénévoles participant moins de 2 h/semaine étaient 12,5 %. Une telle évolution est favorable, car dans le cas de contributions de si courte durée, l’effort fourni par les organismes pour intégrer et former les bénévoles et pour coordonner les activités était probablement souvent disproportionné en regard de leur apport. Il se peut aussi que cette évolution soit favorable en un autre sens, à savoir que dans leurs réponses à cette question, les organismes ont progressivement pris davantage en compte que pour les bénévoles comme pour les rémunérés, donner une ou deux périodes de formation représente évidemment une charge de travail plus importante que le temps passé en face-à-face avec les apprenants.

Fréquence du temps partiel chez le personnel rémunéré

Si le temps de travail presté par les 899 rémunérés en 2010 ne représentait au total que 645 équivalents temps plein (ETP), c’est bien parce que la majorité d’entre eux (ou plutôt d’entre elles, puisque le féminin l’emporte numériquement parmi le personnel) travaillent à temps partiel. Soulignons toutefois qu’il n’est pas rare que des personnes prestant à temps partiel pour les activités du champ de l’alpha consacrent une autre part de leur temps de travail à d’autres pôles d’activités du même organisme (par ex. l’école de devoirs, d’autres formations, un service social, etc.). Le fait qu’elles soient comptées comme travaillant à temps partiel pour l’alpha ne signifie donc pas nécessairement qu’elles sont engagées à temps partiel par l’organisme.

En 2010, 57 % de l’ensemble des rémunérés travaillaient à temps partiel ; cette proportion était de 49 % à Bruxelles et de 64 % en Wallonie (et dans les deux associations « trans­régionales », de 47 % à Lire et Écrire Communauté française, de 64 % à l’Adeppi). Le temps de travail moyen presté par les rémunérés était de 0,8 ETP à Bruxelles et 0,7 ETP en Wallonie, ceci de manière constante depuis 2005.

Le graphique suivant permet de comparer sur les cinq dernières années les courbes de croissance des rémunérés dans les deux Régions, en nombre de personnes et en équivalent temps plein.

On notera ainsi qu’avec un nombre un peu plus élevé de rémunérés en Wallonie (442, pour 414 à Bruxelles en 2010), on comptait pour eux un temps de travail total légèrement moindre (298,6 ETP, pour 315 ETP à Bruxelles).

Autres caractéristiques

Les autres caractéristiques encore relevées par l’enquête sont spécifiques aux deux types de personnel, rémunérés et bénévoles, et nous les envisagerons donc séparément.

En ce qui concerne les bénévoles

Une question de l’enquête portait sur la longévité des bénévoles dans l’organisme : s’agissait-il de « nouveaux », présents depuis moins de six mois ? de bénévoles actifs depuis plus de six mois mais moins de deux ans ? ou « d’anciens », participant depuis plus de deux ans aux actions d’alphabétisation [14] ?

En 2010, plus de la moitié des bénévoles étaient des « anciens », actifs depuis plus de deux ans (56 %) ; le quart relevait de la deuxième catégorie (six mois à deux ans), et 18 % étaient des « nouveaux ». En 1998, première année pour laquelle on dispose de cette donnée, ces proportions se retrouvaient quasi à l’identique : 57 % d’anciens, 27 % pour la catégorie intermédiaire, et 16 % de nouveaux.

Quant au statut socio­professionnel des bénévoles, la répartition en 2010 était la suivante : la grande majorité étaient des pensionnés ou prépensionnés (64 %), 10 % avaient un emploi, 9 % étaient au chômage, et 16 % ne travaillaient pas tout en n’étant pas non plus demandeurs d’emploi (personnes « au foyer », étudiants, etc.)

Le tableau suivant permet de comparer cette répartition avec celle qui prévalait treize ans plus tôt, en 1997.

Statut socioprof. des bénévoles 1997 2010
(Pré)pensionnés
196
44 %
320
64 %
Travaillent
77
17 %
50
10 %
Chômeurs indemnisés
40
9 % 45
9 %
Sans emploi non dem. d’emploi
136
30 % 82
16 %
Total statut connu
449
100 % 497
100 %
Total
484
  515
 

Par rapport à 1997, le profil global des bénévoles montre une certaine stabilité, en ce sens que l’ordre d’importance des différentes catégories n’a pas varié. On observe toutefois plusieurs évolutions importantes. Les pensionnés et prépensionnés ont ainsi fortement augmenté, tant en nombre absolu qu’en pourcentage : ils passent de 196 à 320 sur la période, soit de moins de la moitié des bénévoles (44 %) à près des deux-tiers (64 %). La participation de bénévoles au chômage est restée quasi identique (9 % en 1997 comme en 2010, et quasi le même nombre ces deux années). Les deux autres catégories de bénévoles (ceux qui ont par ailleurs un emploi, et ceux qui sont libres de leur temps ou aux études) ont par contre nettement diminué, en nombre absolu et en pourcentage.

Comme noté ci-dessus (cf. [14]), nous ne disposons pas d’une ventilation du personnel selon l’âge, mais les données relatives au statut socio­professionnel des bénévoles semblent indiquer un net vieillissement de cette catégorie d’intervenants.

Financement du personnel rémunéré

Le dernier angle sous lequel nous envisagerons le personnel de l’alpha tient moins aux caractéristiques des personnes qu’à la possibilité matérielle de les engager : il s’agit des sources de financement de leur emploi.

La majorité du personnel rémunéré (57 % en 2010) est embauchée dans le cadre des programmes de résorption du chômage [15]. La proportion de ce personnel PRC n’a quasi pas varié depuis le début des années 2000, oscillant entre 55 % et 60 %, et les différences entre Régions sont elles aussi négligeables à cet égard. Les programmes PRC constituent de ce fait la principale source de financement du secteur non formel de l’alphabétisation.

Un dernier tableau détaille la répartition du personnel en 2010 selon la source de financement.

Répartition du personnel rémunéré en fonction de la source de financement (2010)
Perma­nents édu­ca­tion perma­nente 39 (4 %)
PRC a 572 (57 %)
Fonds secto­riels b 48 (5 %)
Autres sub­ven­tions c 246 (25 %)
Recet­tes pro­pres d 12 (1 %)
Sala­riés d’un orga­nisme (para)­public 27 (3 %)
Au­tre e 52 (5 %)
Total 996 (100 %)
Dont rému­nérés à finan­ce­ments mul­ti­ples 97 (10 %)

a. PRC : ACS et APE (mais également PTP, plan Activa, Win-win…)

b. Maribel, « Réduire et compenser »…

c. Par ex. COCOF à Bruxelles, conventions Région wallonne, FIPI, FSE, PGV (politique des grandes villes)…

d. Dons, cotisations, Loterie nationale, fondations…

e. Par ex. article 60, chômeurs ALE, enseignant détaché…

Bien que ces données soient établies d’après la source principale du financement de chaque rémunéré, on notera que même ainsi on compte encore une centaine de postes à financements multiples (par ex. une personne financée à mi-temps via PRC, à mi-temps via Maribel, etc.). La fréquence du multi­subventionnement serait évidemment beaucoup plus élevée si on avait pris en compte les compléments qui doivent être apportés au financement principal des travailleurs pour atteindre leur cout salarial réel.

Cette description du personnel de l’alphabétisation à travers des données chiffrées n’offre certes qu’un aperçu limité de ce que sont et font effectivement les personnes représentées par ces chiffres. Deux numéros antérieurs du Journal de l’alpha [16], dans lesquels des intervenants de tous types et de tous horizons témoignent de leurs expériences et analysent leurs pratiques, livrent une approche plus qualitative et plus personnelle. L’intérêt des analyses statistiques est ailleurs : dégager des tendances générales, montrer des évolutions… qui disent elles aussi quelque chose de la réalité du secteur et de ses acteurs.

Quelles que soient leurs limites, nous espérons que ces données, qui n’auraient pu être constituées sans la collaboration d’innombrables acteurs de l’alpha au fil du temps, permettront de mieux connaitre et de mieux apprécier celles et ceux dont l’action quotidienne fait que le droit à l’alphabétisation n’est pas un vain mot.

Catherine Bastyns,
Lire et Écrire Communauté française.

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[1Les données présentées ici concernent le personnel des opérateurs d’alphabétisation du secteur non formel, à savoir principalement des associations, mais également des organismes (para)publics n’ayant pas pour objet principal l’éducation ou la formation. Elles n’incluent donc pas le personnel de l’enseignement de Promotion sociale (secteur formel), qui offre également des cours s’adressant au public peu scolarisé (alphabétisation, français langue étrangère, CEB…) et produit ses propres statistiques, fort réduites en ce qui concerne les caractéristiques du public et des intervenants.

[3Si on dispose des chiffres globaux pour 1990 (et parfois même un peu avant), ce n’est pas le cas pour la plupart des caractéristiques du personnel ; on observera donc les différentes évolutions à partir de la première année disponible.

[4Pour plus de détail, voir : Bastyns Catherine, Stercq Catherine : « Quelle évolution de l’offre d’alphabétisation ? », in Journal de l’alpha no 190, op. cit.

[5Voir : Bastyns Catherine : « Les opérateurs d’alpha, quels profils ? » in Journal de l’alpha no 190, op. cit.

[6Les données des graphiques Bruxelles et Wallonie ne comportent pas le personnel des deux organismes agissant au niveau de l’ensemble de la fédération Wallonie-Bruxelles, Lire et Écrire Communauté française et Adeppi, lesquels comptent uniquement des travailleurs rémunérés, soit en 2010 respectivement 13 femmes et 2 hommes pour Lire et Écrire, 20 femmes et 8 hommes pour l’Adeppi.

[7À partir de 2001 donc, puisque la ventilation par genre au sein des deux types de personnel n’est pas disponible antérieurement.

[8Cf. Bastyns Catherine, Stercq Catherine : « Quelle évolution de l’offre d’alphabétisation ? », op. cit., pp. 72-75.

[9Cf. Bastyns Catherine, Stercq Catherine : « Quelle évolution de l’offre d’alphabétisation ? », op. cit., pp. 77-78.

[10Cf. Bastyns Catherine : « Statut socio­professionnel des apprenants selon la source de leurs revenus » in Journal de l’alpha no 190, op. cit. (plus particulièrement la section Les apprenants en contrat de formation, pp. 129-133).

[11Pour le détail du nombre d’organismes fonctionnant sur ce mode, voir Bastyns Catherine : « Les opérateurs d’alpha, quels profils ? » in Journal de l’alpha no 190, op. cit. (plus particulièrement la section Types d’organismes selon la composition du personnel : la part du bénévolat, pp. 98-102).

[12Sauf en 2001, où cette proportion est fort atypique ; dès l’enquête de l’année suivante, elle redescend à 70 %.

[13Mesurée en temps de travail, la contribution des bénévoles représentait 11,5 % du temps de travail total en Wallonie, 9 % à Bruxelles. Rappelons qu’en nombre de personnes, les bénévoles représentaient 44 % du personnel en Wallonie, 29 % à Bruxelles.

[14Il eut été tout aussi pertinent de poser une question de cet ordre à propos des travailleurs rémunérés, mais cela n’a pas été fait et nous ne disposons donc pas d’une telle information à leur égard. Pas plus d’ailleurs que d’informations quant à l’âge, tant pour les bénévoles que pour les rémunérés, données qui auraient pourtant été également intéressantes.

[14Il eut été tout aussi pertinent de poser une question de cet ordre à propos des travailleurs rémunérés, mais cela n’a pas été fait et nous ne disposons donc pas d’une telle information à leur égard. Pas plus d’ailleurs que d’informations quant à l’âge, tant pour les bénévoles que pour les rémunérés, données qui auraient pourtant été également intéressantes.

[15Les divers programmes de résorption du chômage (TCT, PRIME, FBIE, etc.) qui octroient une intervention financière aux employeurs du non marchand engageant des demandeurs d’emploi ont été regroupés à Bruxelles sous l’appellation ACS (agents contractuels subventionnés), et en Wallonie sous l’appellation APE (aides à la promotion de l’emploi).