Contexte
En Belgique, le Code de la nationalité prévoit pour une partie [3] des candidats à la nationalité l’exigence d’une certification A2 du CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues) prouvant leur connaissance d’une des langues nationales. Depuis son introduction, Lire et Écrire demande que la législation fédérale sur le Code de la nationalité soit revue et intègre la possibilité pour les candidats à la nationalité belge de faire état de leur connaissance d’une des langues nationales à l’oral uniquement.
Les tests du niveau A2 ne prennent pas en compte les personnes illettrées (leur conception n’a pas intégré cette préoccupation) [4] et l’acquisition de ce niveau A2 continue à être prescriptrice de droits et d’obligations. Les effets discriminants des tests ne sont pas seulement constatés par Lire et Écrire et les associations de terrain : les experts mobilisés par le Conseil de l’Europe le confirment également.
Ce 23 mars 2023, pourtant, ce dossier a connu un rebondissement inattendu à travers l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle. Cette cour – qui veille notamment au respect de la Constitution par les différents législateurs – a pour la première fois reconnu que certains articles du Code de la nationalité enfreignait les droits d’une partie de la population. Implicitement, mais effectivement, cette condition d’accès à la nationalité lie, sous le mode de l’exclusion, analphabétisme et citoyenneté.
Faut-il maitriser les compétences de base pour être un citoyen belge ?
Deux étrangers analphabètes ont contesté, devant le Tribunal de première instance de Flandre orientale (division de Gand), l’avis négatif rendu par le procureur du Roi concernant leurs déclarations de nationalité, suite à leur échec à la partie écrite du test A2. Comme le prévoit le droit belge dans ce type de litige, les juges du Tribunal de première instance ont demandé à la Cour constitutionnelle de se positionner sur cette délicate question d’identité de traitement des étrangers qui souhaitent effectuer une déclaration de nationalité… selon qu’ils sont analphabètes ou non.
Dans son arrêt, la Cour a donné raison aux plaignants, jugeant que certains articles du Code de la nationalité belge violent les articles 10 et 11 de la Constitution qui consacrent le principe d’égalité et de non-discrimination.
Selon elle, il est en effet possible qu’un groupe déterminé d’adultes analphabètes soit incapable d’acquérir un niveau de connaissance linguistique écrite A2, en raison de lacunes en matière de compétences et de notions linguistiques de base. Le législateur doit donc remédier à cette inconstitutionnalité.
Pour Lire et Écrire, ce jugement confirme la position qu’elle défend depuis de nombreuses années. L’apprentissage conjoint d’une nouvelle langue et des compétences de base nécessite, pour les personnes pas ou peu scolarisées, de s’inscrire dans des processus d’apprentissage longs et pas nécessairement linéaires, vu les situations de vie de ces adultes, qui sont aussi souvent des parents, des travailleurs, etc. Une population qui, malgré ses difficultés à lire, écrire, calculer, peut néanmoins maitriser à l’oral, de manière très fluide, plusieurs langues…
Autre constat inquiétant : la numérisation des procédures et des tests
Ajoutons aussi que, durant la pandémie, les services communaux ont été fermés (les procédures stoppées) et les seules voies d’introduction des dossiers se faisaient de manière électronique. Ce qui n’a pas manqué non plus de complexifier la vie des personnes analphabètes peu outillées numériquement. À l’époque, Lire et Écrire avait réagi face à cette dérive [5] et si, depuis, les administrations ont repris leurs activités, les procédures restent largement numérisées, ce qui pose problème aux personnes analphabètes. Le récent avis d’UNIA reconnait d’ailleurs, aussi, le caractère discriminant de services publics entièrement numérisés pour ces publics et le besoin d’alternatives physiques (guichets et permanence téléphonique).
Depuis juillet 2022, la seule alternative non numérique du test A2 a également été supprimée par Bruxelles Formation, un des organismes habilités à les faire passer.
Dès lors, Lire et Écrire plaide pour que les personnes analphabètes puissent attester de leur connaissance d’une des langues nationales uniquement à l’oral et qu’une évaluation des politiques d’accès à la nationalité soit menée en intégrant l’indicateur du niveau scolaire.