Frais scolaires, cout des études et mesures prioritaires pour poursuivre le travail de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la mise en œuvre de la gratuité scolaire
Madame Caroline Désir, ministre de l’Éducation,
Madame Françoise Bertieaux, ministre de l’Enseignement supérieur en charge des Allocations d’études secondaires et supérieures,
Monsieur Pierre-Yves Jeholet, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles,
Monsieur Frédéric Daerden, vice-président et ministre du Budget,
Madame Bénédicte Linard, vice-présidente et ministre de l’Enfance.
Copie à mesdames et messieurs les député
es membres de la commission Éducation du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.Copie à mesdames et messieurs les député
es membres de la commission Enseignement supérieur du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.L’année passée, un pas important a été fait par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans la mise en œuvre de la gratuité scolaire. Depuis cette rentrée 2023-2024, les parents des élèves de 1re et 2e primaire ne doivent ainsi plus acheter de fournitures scolaires, ce qui les soulage de couts importants. Selon nos chiffres, en cette rentrée, ce sont ainsi 100 euros en moyenne qui sont épargnés par élève de 1re ou 2e primaire pour chaque famille [2] ; alors que l’achat collectif des fournitures permet aux établissements des dépenses bien moins importantes par élève du fait des prix de gros et de l’uniformisation du matériel que ces centrales d’achats génèrent.
Mais pour les élèves à partir de la 3e primaire, les frais de rentrée continuent d’être un frein à un accès à une éducation de qualité pour tous. Toutes fournitures scolaires – dont affaires de sport, cartable et plumier – comprises, les parents doivent aujourd’hui débourser 292 euros par enfant de 3e à 6e primaire en moyenne à la rentrée. Un cout prohibitif qui met dans le rouge de nombreuses familles déjà durement affectées par l’inflation que l’indexation automatique des revenus ne compense que partiellement. Et la situation est pire dans le secondaire – 750 euros par élève, matériel informatique compris pour les années où l’acquisition de cet équipement est nécessaire – et criante particulièrement dans le qualifiant, où le prix dépasse 1160 euros par élève du fait du matériel spécifique d’équipement et outillage. [3] Ce ne sont pas seulement les familles les plus vulnérables qui pâtissent des frais scolaires, mais aussi la classe moyenne qui s’appauvrit. Ainsi, la dernière étude de la Ligue des familles relative au numérique à l’école montrait que pour le seul achat de matériel informatique pour l’école, une famille sur cinq témoignait de difficultés financières en septembre. Une situation qui ne peut laisser sans réaction.
Les conséquences des couts scolaires quand ils s’ajoutent à la précarité des familles sont dramatiques en termes de stigmatisation, d’exclusion sociale et de relégation. Ils participent au renforcement des inégalités scolaires dans une école, et entre écoles. Aujourd’hui, un élève sur vingt en primaire et un sur dix en secondaire ne peut pas partir en voyage scolaire à cause du cout – actuellement non plafonné – des excursions et séjours. Des familles reportent certains soins de santé parce que la rentrée scolaire pèse trop sur les budgets, ou doivent faire le choix entre le voyage scolaire d’un enfant et celui d’un autre, alors que plus de 30 % des Wallons ne savent pas se payer une semaine de vacances par an. En secondaire et dans le supérieur, les allocations d’études existantes sont utiles même si elles souffrent de non-recours aux droits, et surtout, leur couverture et les montants moyens ne permettent aujourd’hui pas aux familles d’éviter que les couts des études les fassent basculer sous le seuil de pauvreté.
En conséquent, des familles de plus en plus nombreuses doivent se tourner vers des CPAS aux moyens limités et variables, aux politiques d’aide sociale différemment appliquées et conditionnées suivant la commune, et par ailleurs de plus en plus débordés par une précarité générale, pour demander des aides à l’achat de fournitures scolaires ou à la prise en charge en général des couts des études.
Faut-il rappeler que, sans préjudice de son article 1.7.2-2 – lequel n’autorise pas explicitement les établissements de l’enseignement primaire à établir des listes de rentrée de fournitures et ne permet de demander en primaire des frais que pour les droits d’accès à la piscine, ceux aux activités culturelles et sportives et ceux pour les séjours pédagogiques – le Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire prévoit que le pouvoir organisateur ne peut en aucun cas formuler une demande de paiement, directe ou indirecte, facultative ou obligatoire, sous forme d’argent, de services ou de fournitures
, et que des dotations et des subventions de fonctionnement annuelles et forfaitaires sont accordées pour couvrir les frais afférents […] à la distribution gratuite de manuels et de fournitures scolaires aux élèves soumis à l’obligation scolaire
[4] ?
Malgré ces dispositions et nos engagements internationaux [5] comme constitutionnels [6], la gratuité réelle des fournitures n’est aujourd’hui effective que pour l’enseignement maternel et les deux premières années de primaires.
Dans la suite du Pacte pour un enseignement d’excellence, votre gouvernement s’est engagé à poursuivre cette politique de gratuité, notamment en fixant un échéancier progressif de sa mise en œuvre, ainsi qu’à plafonner le cout des excursions et séjours scolaires. Alors que le dernier conclave budgétaire de cette législature approche, nous formulons deux demandes prioritaires en matière d’accessibilité de l’éducation [7] :
- Dégager les moyens nécessaires à l’extension aux 3e et 4e années de primaire de la gratuité des fournitures scolaires, et de planifier son extension progressive à l’ensemble des années de primaire puis de secondaire, par exemple en suivant la mise en place du tronc commun. Cette gratuité doit s’entendre comme celle d’application en maternelles, donc, sans possibilité des écoles de réclamer des frais dits « facultatifs » ;
- Dégager les moyens nécessaires à une réforme automatisant l’octroi des allocations d’études et revoyant les seuils d’accès et les montants à la hausse, de sorte que les couts scolaires n’entrainent plus les familles sous le seuil de pauvreté monétaire, et avec une priorité pour les élèves du secondaire qualifiant faisant face à des surcouts élevés.
En particulier, le financement de la poursuite de la gratuité scolaire représenterait 4,05 millions € par année, soit 0,06 % du budget de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les 3e et 4e primaires. Un investissement minime au regard de son impact pour les familles. Mais aussi une marque d’engagement structurel dans l’accès à l’éducation, une diminution non négligeable de la pression subie par les CPAS, et un gain inestimable pour soulager les familles – particulièrement, les familles nombreuses, monoparentales et financièrement vulnérables – face à la situation actuelle.
Parallèlement, nous vous enjoignons à limiter les disparités entre familles et les phénomènes de concurrence entre élèves et entre écoles en prenant des mesures non budgétaires à même de renforcer l’accessibilité financière de l’école, parmi lesquelles :
- Mettre en œuvre les §§ 2 et 3 de l’article 1.7.2-2 du Code de l’enseignement, qui vous engagent à fixer pour le primaire et le secondaire le montant total maximal qu’une école peut réclamer par élève pour les frais liés aux activités culturelles et sportives et aux séjours pédagogiques avec nuitées ; en fixant un montant qui n’est pas trop éloigné de ce que paient en moyenne les parents aujourd’hui – les plafonds en vigueur en Flandre peuvent également être une balise pertinente.
- Clarifier la législation relative à la possibilité des écoles de proposer ou recommander l’achat de matériel informatique pour l’école. Pour que ces achats soient réellement volontaires, le Code de l’enseignement doit prévoir que le matériel informatique doit être mis à disposition par les établissements sans frais à charge des parents, lorsqu’il est nécessaire aux apprentissages ; par ailleurs le plafond de 500 euros prévu dans l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française de pouvoirs spéciaux no 42 devrait être réduit à 350 euros, considérant la possibilité de trouver du matériel de qualité à ce prix [8].
La progression vers la gratuité scolaire n’est pas qu’une question de justice sociale et d’accessibilité de l’éducation. Elle est aussi un moyen pour l’État d’organiser pour les élèves, leurs familles, et pour les acteurs de l’éducation, une école plus apaisée, où l’égalité des chances et l’équité sont au cœur du projet scolaire.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, mesdames et messieurs les Ministres, l’expression de nos sentiments les meilleurs.