Introduction
Ce sont souvent les moins qualifiés qui accèdent le plus difficilement à un premier emploi ou n’arrivent pas à retrouver un emploi après avoir travaillé de plus ou moins nombreuses années . Chômeurs de longue ou de très longue durée, les programmes d’activation les orientent notamment vers les formations, dont celles d’alphabétisation. Mais même menées jusqu’à leur terme, ces formations ne débouchent pas pour tous – loin s’en faut ! – sur l’emploi : ils sont « seulement » devenus un peu plus compétitifs sur un marché de l’emploi largement déficitaire, même si des métiers en pénurie existent. D’où une tendance dans le chef des pouvoirs publics à segmenter la catégorie globale des « chômeurs » en la divisant en catégories distinctes nécessitant un traitement différencié. Les catégories « MMPP » , « PMS » , « chômeurs ayant plus de 33 % d’inaptitude permanente au travail » en font clairement partie. Ciblant particulièrement les personnes qui (ré)accèdent (très) difficilement à l’emploi, le lien avec le public de l’alphabétisation, peu ou pas diplômé, peu qualifié ou dont les qualifications ne sont pas reconnues, apparait rapidement. Ce qui incite à aller y voir d’un peu plus près…
Le questionnement à l’égard de ces nouvelles catégories de chômeurs s’est par ailleurs d’autant plus posé au sein de notre Mouvement, dès lors que des apprenants des Régionales wallonnes comme des Centres alpha bruxellois de Lire et Écrire ont eux-mêmes amené la question dans le cadre de leur formation en alphabétisation, et ce de différentes manières.
Ainsi, en Wallonie, une Régionale a par exemple été sollicitée par une assistante sociale du Forem, afin qu’elle atteste de la condition de MMPP d’une personne quittant la formation, et ayant signé les documents relatifs au statut MMPP afin de ne pas perdre ses allocations. La Régionale a refusé de donner suite à la demande du Forem, estimant qu’il s’agissait, d’une part d’une instrumentalisation de la part de l’Organisme régional de l’emploi, et d’autre part d’une demande qui dépassait ses compétences, considérant qu’on lui demandait de poser un diagnostic quasi médical. La Régionale a par ailleurs considéré comme choquant le fait qu’un demandeur d’emploi se voit contraint de se déclarer en situation psychologique instable pour avoir le droit de bénéficier d’un allongement du droit aux allocations.
À Bruxelles, dès le 1er janvier 2015 et jusqu’il y a quelques mois, la mention MMPP apparaissait dans la rubrique « Type d’accompagnement » du dossier informatisé / dossier IBIS des chercheurs d’emploi en situation d’illettrisme suivis par le Service Alpha Emploi (SAE) de Lire et Écrire Bruxelles, et y restait pendant toute la durée de leur accompagnement. Étant donné que cela concernait l’ensemble des personnes suivies par le SAE de Lire et Écrire Bruxelles, on pouvait supposer que tous les chercheurs d’emploi suivant une formation en alphabétisation étaient par défaut qualifiés comme MMPP, ce qui est apparu comme totalement injustifié aux yeux de l’entité bruxelloise du Mouvement.
Lors d’une réunion du comité d’accompagnement des partenaires dits APS – pour « accompagnement de publics spécifiques » – en décembre 2014, un représentant d’Actiris a confirmé cette supposition, expliquant que la mention MMPP apparaissait systématiquement dans le dossier des personnes qui étaient suivies dans le cadre d’un APS, quelle que soit la raison qui leur permettait de bénéficier d’un accompagnement spécifique (parmi les raisons : illettrisme, mais aussi absence de logement, handicap ou encore ancien détenu). Il s’agissait donc, en attribuant d’office le statut MMPP à tous les publics spécifiques, d’une mesure de simplification administrative en lien avec l’allocation d’une prolongation du droit aux allocations d’insertion.
Au vu de ces différents éléments, Lire et Écrire a voulu creuser le lien qui existe et/ou qui est fait entre ce statut de MMPP, ainsi que le statut PMS apparu un peu plus tard, et les publics en situation d’illettrisme, mais également creuser les enjeux qui sont liés à ces catégorisations et les impacts éventuels sur les personnes en situation d’illettrisme et sur l’image qui est véhiculée à propos de ces publics.
Nous tentons donc, dans cette étude, de clarifier le cadre légal et les pratiques qui existent, aujourd’hui et depuis leur lancement, autour des concepts MMPP et PMS, et d’y porter un regard critique. Précisons cependant d’emblée qu’un tel exercice de clarification s’est avéré difficile à mener pleinement étant donné le flou et la complexité qui entourent la législation de chômage de manière générale, et le cadre légal concernant les MMPP et les PMS en particulier. Un flou dans lequel les travailleurs des services wallons et bruxellois de l’emploi semblent également se trouver, de leur propre témoignage. Ainsi, il n’a pas été rare, au cours de cette recherche, d’entendre ou lire des propos tels que cela doit encore être précisé
ou nous en saurons plus avec le temps et la pratique
. Ce flou constitue d’ailleurs l’un des principaux points d’attention qui ressort de la recherche, étant donné la marge d’interprétation qu’il induit et dès lors l’incertitude dans laquelle se trouvent les publics étant susceptibles d’être concernés par cette législation.
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Table des matières
- Introduction
- Partie I : Concepts et législation
- Origines et clarification des concepts
- Les chômeurs MMPP
- Les chômeurs PMS
- Les personnes présentant au moins 33% d’inaptitude permanente au travail
- Le trajet d’accompagnement
- Durée
- Conditions
- Statut, maintien des droits, sanctions et fin de parcours
- Contrôle de la disponibilité active sur le marché de l’emploi
- Statut
- Sanctions
- Fin de parcours
- Quotas
- Origines et clarification des concepts
- Partie II : Mise en œuvre dans les Régions
- Comment les personnes sont-elles désignées MMPP ou PMS ?
- En Wallonie
- En Région de Bruxelles-Capitale
- Quel(s) trajet(s) d’accompagnement ?
- En Wallonie
- En Région de Bruxelles-Capitale
- Statut, droits et devoirs, sanctions et fin de parcours ?
- En Wallonie
- En Région de Bruxelles-Capitale
- Comment les personnes sont-elles désignées MMPP ou PMS ?
- Partie III : Mise en perspective critique – Les enjeux des catégorisations MMPP et PMS, en particulier concernant les publics en situation d’illettrisme
- En quoi les publics de l’alphabétisation, et plus largement de l’insertion socioprofessionnelle, sont concernés ?
- Lire et Écrire directement confrontée à la question en Wallonie et à Bruxelles
- Pas que les jeunes
- Des notions floues donnant lieu à de larges interprétations
- Médicalisation d’une question sociale : le non-emploi
- Médicalisation dans les termes
- Médicalisation pour une individualisation de la responsabilité du non-emploi ?
- Quelle légitimité pour poser le diagnostic ?
- Risque de stigmatisation
- L’impact des étiquettes
- Effet Pygmalion ?
- Contrainte ou démarche volontaire ?
- Risque d’orientation vers un travail non rémunéré ?
- En bout de trajet, quelles perspectives ?
- Concernant les chômeurs MMPP
- Concernant les chômeurs PMS
- En quoi les publics de l’alphabétisation, et plus largement de l’insertion socioprofessionnelle, sont concernés ?
- Conclusion
- Bibliographie et sources