Pour sa campagne 2016, Lire et Écrire a produit un court métrage, Rosa. La vie en rose [1], qui se veut une voix dissonante et porteuse d’espoir face aux mesures de contrôle qui frappent les personnes en recherche d’emploi ou de formation. Au fil des années, ces règlementations s’intensifient et se durcissent avec comme conséquence une vulnérabilité sociale croissante du public en difficulté de lecture et d’écriture. Un contexte qui ne va pas de pair avec un réinvestissement des moyens publics dans des politiques sociales, de formation et d’accompagnement proches des personnes et des enjeux sociaux de solidarité.
La projection du film servira de fil rouge et de support à des matinées/soirées débats qui seront organisées dans chaque régionale de Lire et Écrire à partir du 8 septembre. La campagne y sera présentée au large public en présence des représentants du monde journalistique (notamment les télévisions communautaires), des associations d’alphabétisation, des CPAS, des mandataires politiques, des acteurs de formation, des syndicats et des institutions régionales de l’emploi. À l’issue de ces rencontres, les participants seront invités à soutenir cette campagne en signant une carte postale qui sera remise aux responsables politiques en charge de ces dossiers au courant de l’année 2017. Les personnes en formation d’alphabétisation seront également invitées à adhérer à la campagne en signant cette carte dès leur entrée en formation en septembre.
Comme chaque année, un set de table reprenant le même design que celui du film sera largement diffusé en Fédération Wallonie-Bruxelles (45 000 exemplaires). Il invitera chacun à visionner ce court métrage sur la page de campagne de Lire et Écrire (lire-et-ecrire.be/rosa2).
Un scénario basé sur des témoignages d’apprenants et de travailleurs sociaux
L’idée de ce film est de présenter le personnage de Rosa, une jeune femme qui a des difficultés de lecture et d’écriture, sous l’angle de ses compétences et de ses projets. En imaginant autour d’elle des interlocuteurs qui mettent en place une écoute active, lui offrent le temps nécessaire pour entendre sa demande, comprendre sa démarche… et y répondre.
Pourquoi avoir choisi ce ton décalé ? Car, pour écrire le scénario de ce film, Lire et Écrire est allée à la rencontre des apprenants et des travailleurs sociaux. Les premiers lui ont fait part de leur découragement et de leur perte d’espoir. Alors qu’ils demandent à être écoutés, entendus, accompagnés, ce qu’on leur offre, le plus souvent, c’est un parcours d’activation vain et complexe : accumuler des preuves administratives de recherche d’emploi plutôt que trouver un travail.
Du côté des organismes publics en charge de cet accompagnement, le constat est également pessimiste. Les travailleurs sociaux rencontrés disent manquer de temps et de moyen pour mener à bien leur mission. Ils se sentent de plus en plus prisonniers de cette même logique d’activation qui mène à l’exclusion.
Le PIIS, dernière mesure en date sans l’arsenal des politiques d’activation
Depuis quatre ans, Lire et Écrire a décidé de faire campagne non pas sur le terrain strict du droit à l’alphabétisation mais d’élargir son propos à des réalités socioéconomiques plus larges (dont les politiques d’activation) car celles-ci ont des retombées très préoccupantes sur les conditions de vie des publics les plus fragilisés, dont les personnes analphabètes.
En 2016, les mesures d’activation ont franchi un nouveau pas en s’attaquant au dernier filet de protection sociale, à savoir le Revenu d’intégration sociale (RIS) à travers la généralisation d’un outil tel que le Projet individualisé d’intégration sociale (PIIS). D’ici la fin de l’année 2016, tous les nouveaux bénéficiaires du RIS devront signer avec le CPAS un Projet individualisé d’intégration sociale (PIIS).
Les pouvoirs publics disent que ces mesures d’activation permettent de mieux suivre les personnes, de favoriser leur réintégration sociale et professionnelle ainsi que de les responsabiliser. Des arguments qui nous semblent irréalistes. Actuellement, les sommes débloquées par les pouvoirs publics à destination du personnel des CPAS sont insuffisantes pour faire face à cette charge de travail supplémentaire. En ce qui concerne l’argument de meilleure responsabilisation des personnes, il nous semble aussi peu crédible. Les personnes soumises à ces mesures ne se montrent nullement irresponsables. Elles sont le plus souvent démunies face à des injonctions souvent surréalistes.
Ce que Lire et Écrire constate enfin c’est que ces mesures s’appuient surtout sur l’argument de réciprocité : des droits et devoirs sont imposés aux individus en contrepartie de l’effort fourni par la collectivité à leur égard
mais que, dans les faits, il lui semble que cette notion n’entend pas agir sur l’une des principales causes de l’analphabétisme : le fonctionnement inégalitaire de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles, ni sur la prise en compte des besoins spécifiques des personnes en difficulté de lecture et d’écriture. De plus, les devoirs imposés aux uns, et notamment à notre public, sont particulièrement exigeants, souvent discriminants et s’apparentent à une véritable violence institutionnelle.
L’impact de ces mesures sur les conditions de vie des personnes en difficulté de lecture de d’écriture est actuellement une inconnue. L’évaluation par les pouvoirs publics de ces politiques ne tient pas/plus compte des populations les moins scolarisées, populations qui sont majoritairement représentées dans les dispositifs d’aide sociale et de chômage.
Ce que Lire et Écrire revendique
Pour Lire et Écrire, il est temps que les pouvoirs publics mettent en place les instruments d’évaluation de ces politiques d’activation et agissent sur les causes mêmes de la persistance de l’analphabétisme. S’il y a persistance de l’analphabétisme dans un pays où la scolarité est obligatoire, c’est bien parce que l’enseignement n’est pas capable d’amener une partie des enfants issus des classes populaires, belges ou immigrées, à un niveau de maitrise des compétences de base équivalent au Certificat d’études de base (fin de sixième primaire).
Une politique efficace ne passe pas par une plus grande culpabilisation et exclusion des chômeurs et des allocataires sociaux.
L’accès à l’alphabétisation est pour nous un droit humain fondamental, un droit qui a ceci de particulier qu’il conditionne de manière très significative l’exercice de tous les autres droits : culturels, sociaux, économiques et politiques.
Ne pas en tenir compte n’est pas seulement porter atteinte aux personnes concernées, mais hypothéquer notre espace démocratique en excluant plus d’une personne sur dix.
En savoir plus
Voir le programme des activités de Lire et Écrire à l’occasion de la journée internationale de l’alphabétisation 2016.
Statistiques des apprenants à Lire et Écrire en 2015.
Le 50e anniversaire de la Journée internationale de l’alphabétisation par l’UNESCO.