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Comment accompagner les publics éloignés du numérique ?

Le C@fé numérique enrichi : démarche et mise en œuvre

Extrait du Journal de l’alpha 218 : L’alpha à l’ère du numérique.

Face à l’urgence imposée par la dématérialisation croissante des services publics en France, le Centre Ressources Illettrisme Auvergne a expérimenté l’accompagnement des publics éloignés du numérique, en particulier des personnes en difficulté avec les savoirs de base au travers de la mise en place d’une démarche propre, le « C@fé numérique enrichi ».

Récit de la mise en œuvre et de la démarche en quatre temps…

Par Stéphane Gardé.

Illustrations issues du diaporama de présentation du C@fé numérique enrichi.

Le Centre Ressources Illettrisme (CRI) Auvergne est une structure associative qui, depuis plus de 25 ans, œuvre autour des problématiques d’accès à la langue et aux savoirs de base. Le siège de l’association se situe à Clermont-Ferrand en Auvergne, en France.

En 2005, le Conseil départemental du Puy-de-Dôme a confié au CRI Auvergne une action d’insertion sociale dans le cadre du schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage. C’est ainsi que l’action itinérante La Souris verte, camion multimédia équipé d’ordinateurs, d’un scanner et d’une imprimante ainsi que d’un accès Internet, a été mise en place, non pas pour le public, mais avec le public.

Les objectifs de cette action visaient à faire le lien, entre les lieux de stationnement et les publics d’une part, et d’autre part, les actions relevant des politiques de droit commun. C’était une action passerelle. Les personnes visées n’étaient pas demandeuses directement, c’est une proposition que nous avons construite à partir de besoins repérés, par des travailleurs sociaux et nous-mêmes. La fréquentation était entièrement basée sur le volontariat de personnes en grande partie en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme. Nous venions ainsi leur proposer une découverte de l’informatique et d’Internet mais dont l’objectif était l’accès à la lecture, à l’écriture, au calcul… aux savoirs de base à travers l’outil numérique. Les personnes les plus éloignées des technologies numériques sont les personnes qui nous ont le plus enseigné. Nous avons fait un premier achat : une table, des chaises et une cafetière pédagogique… L’espace de convivialité n’était ni complètement l’extérieur, le lieu de stationnement, ni complètement l’intérieur du camion, lieu dédié à l’apprentissage. Cet espace a permis les échanges et notamment d’identifier les leviers vecteurs d’implication dans des apprentissages.

Quelques années plus tard, le CRI Auvergne a capitalisé l’ensemble des enseignements transmis par les participants à l’aide notamment d’un consultant, Jean Vanderspelden de ITG Paris au sein d’un groupe de travail Formation ouverte à distance et illettrisme. Nous avons ainsi pu dresser des perspectives pédagogiques prioritaires à mettre en œuvre pour susciter le désir d’apprendre chez les personnes éloignées des savoirs de base.

Aujourd’hui, la mission numérique du CRI Auvergne se compose de trois axes :

1. Outils ressources

Nous assurons une veille sur l’actualité des outils et des ressources diffusées aux intervenants – professionnels et bénévoles – qui accompagnent les personnes sur la maitrise des savoirs de base et de la langue française.

2. Formation d’acteurs

Depuis une dizaine d’années, nous animons des formations à destination des acteurs de la formation afin qu’ils incluent l’usage du numérique dans leurs pratiques. Aujourd’hui, suite à la dématérialisation des services publics en France, nos actions de formation évoluent vers l’accompagnement des acteurs de l’insertion sociale, professionnelle, du travail social ou encore de la lecture publique : comment accompagner les personnes éloignées des compétences numériques de base afin de passer de l’urgence de leur demande à l’accès à plus d’autonomie, pour ceux qui le peuvent ?

3. Expérimentation et innovation

Lors d’une expérimentation financée par la Direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) du Puy-de-Dôme en 2017-2018 sur la thématique de l’employabilité et des compétences numériques de base, nous avons dressé un diagnostic de territoire assorti de préconisations pour susciter l’envie des publics en insertion professionnelle de se former aux compétences numériques de base. Nous avons par la suite mis en œuvre un projet pilote au cours duquel l’ensemble des données recueillies a permis de mettre en forme une démarche d’accompagnement que nous avons appelé C@fé numérique enrichi et que nous allons vous présenter.

Le C@fé numérique se différencie à la fois d’un atelier numérique ordinaire (où l’on propose d’aborder des thématiques : découvrir Facebook, le site de la SNCF, Blablacar, etc.) et de la formation numérique même qui fait référence à un programme établi pour lequel les apprenants vont bien souvent être évalués afin d’intégrer le dispositif.

Pour les personnes les plus éloignées des compétences numériques de base, ces deux modalités sont déjà bien trop exigeantes pour qu’elles s’autorisent à intégrer ce genre de dispositif d’accompagnement. Pour monter en compétences, il est bien souvent nécessaire de passer par un chemin moins direct, un chemin détourné. Un café numérique est un atelier autour des compétences numériques de base dont la particularité se situe dans l’absence de thème prédéfini. Ce sont les problématiques avec lesquelles viennent les participants qui vont permettre de définir le thème de l’atelier propre à la démarche d’accompagnement.

Nous proposons d’expliquer la démarche et la mise en œuvre du C@fé numérique enrichi réalisé à partir d’une démarche en quatre temps proposée dans le cadre de la stratégie nationale pour un numérique inclusif au printemps 2018 en France. Cette stratégie a été conduite par la Mission Société numérique [1] pour l’élaboration du plan national pour un numérique inclusif de septembre 2018.

Elle a permis la rencontre et des échanges entre acteurs de terrain et de leurs préconisations (dont les nôtres). L’élaboration d’un kit d’urgence pour les aidants a fait ainsi l’objet d’une réflexion entre acteurs de terrain. C’est sur la base des 4 items de ce kit que nous avons proposé une adaptation, en partant de notre expertise de terrain, que nous avons intitulée C@fé numérique « enrichi ».

Temps 1 : Accueillir

Une première phase d’observation se déroule à l’oral, lors de l’entretien d’accueil de la personne, individuellement ou en groupe. Cette observation nous permet de prendre la mesure d’une part, de l’équipement numérique dont elle dispose (ordinateur, tablette ou smartphone). D’autre part, elle nous permet d’interroger les pratiques : Quelles sont ses pratiques ? Que sait-elle faire avec l’équipement dont elle dispose ? Nous savons tous au moins « faire quelque chose ». Le travail de l’aidant consiste ici à identifier ce quelque chose pour pouvoir le souligner, le mettre en évidence au regard de la personne accueillie, lui faire prendre conscience des compétences déjà présentes. Cette phase d’observation nous renseigne également sur son rapport aux technologies numériques : A-t-elle un intérêt manifeste, ou pas ? En a-t-elle peur ? Est-elle méfiante ou interrogative ? Ensuite, l’échange porte sur deux axes essentiels :

Tout d’abord quels sont ses besoins ?

Au mieux, la personne vient avec un besoin exprimé, une problématique identifiée, par elle-même ou bien un tiers à l’origine de son orientation. Nous avons alors un axe thématique prédéfini : créer une adresse e-mail, apprendre à s’en servir, ou encore apprendre à se servir d’un ordinateur. Mais parfois, il est difficile pour les personnes éloignées du numérique d’identifier leurs propres besoins. Et c’est précisément lors de l’échange autour des deux premiers items (équipements – pratiques) que nous pouvons identifier les besoins alors supposés de la personne.

Si la personne dispose d’un smartphone, nous pouvons interroger sa pratique au sujet des e-mails : A-t-elle une boîte e-mail ? Sait-elle s’en servir ? Se souvient-elle du mot de passe requis ?

Le deuxième axe à interroger lors de cette phase d’observation concerne les envies de la personne. C’est un axe primordial. Les personnes les plus éloignées n’ont bien souvent aucune envie, bien qu’elles aient des besoins. Elles se sous-estiment fréquemment et pensent qu’elles n’ont pas les capacités pour les atteindre. Par « envies », nous entendons les centres d’intérêts personnels comme autant de vecteurs possibles d’implication de la personne dans la déclinaison de thèmes de ses apprentissages. Pour avoir envie d’apprendre, encore faut-il y trouver un intérêt, donner du sens à l’apprentissage…

Il est aussi question de confiance. Je me souviens d’une personne pour laquelle l’accès aux outils n’était pas une demande, elle s’en méfiait. Sur cet axe-là, il est primordial d’interroger autre chose que les compétences numériques. Il est nécessaire de faire un pas de côté pour mieux y revenir. L’acquisition de compétences numériques de base n’était pour elle absolument pas un sujet. La machine l’agaçait profondément et elle n’avait aucune envie de l’apprivoiser. Or, dans un contexte de dématérialisation des services publics [2], son accès aux droits, voire même son maintien, est conditionné à la déclaration en ligne. Il y a donc urgence. Urgence numérique mais également son corolaire, l’urgence sociale face à la dépendance à un tiers qui n’a d’autre solution pour maintenir l’accès à ses droits ou empêcher sa radiation, de « faire à la place de ». Or, pour passer de l’urgence numérique à une autonomie relative, il est nécessaire de travailler sur le fond, donc sur du long terme : se former aux compétences numériques de base.

J’ai donc échangé avec cette personne sur ses centres d’intérêt en lien avec ses envies. Elle m’a confié que ce qu’elle aimait faire avant tout, c’était réaliser diverses choses au crochet.

Qu’est-ce que vous ne savez pas faire au crochet et que vous aimeriez apprendre ?
Elle me répond : Une rose.

Sous son regard, j’ouvre un navigateur, utilise un moteur de recherche pour effectuer une requête : « tuto rose crochet ». Je parcours les résultats, me dirige vers des tutoriels vidéo. J’en choisis un que nous visionnons ensemble. Et là, alors qu’elle n’avait affiché que mépris pour cet ordinateur, elle a commencé à sourire et une étincelle dans son regard a témoigné d’un intérêt certain…

Ses objectifs

L’objectif premier est bien entendu de faire connaissance. L’objectif second est de pouvoir obtenir un maximum de « matière » possible pour pouvoir commencer à élaborer un diagnostic, mais également de repérer les savoir-faire afin de valoriser les compétences déjà présentes dont bien souvent la personne n’a pas la mesure. Ainsi, nous pouvons commencer à restaurer l’estime de soi afin qu’elle puisse commencer à envisager de s’engager dans un apprentissage : sans confiance en soi, aucun apprentissage ne sera possible.

Temps 2 : Diagnostiquer Déduire-élaborer

Suite au retour de l’observation du temps 1, il convient d’élaborer un diagnostic en partant des éléments recueillis :

Équipement

Les apprenants nous indiquent sur quelle machine la personne est susceptible d’avoir des compétences déjà présentes (ordinateur, tablette ou smartphone).

Pratiques

Il convient de les diagnostiquer à partir des savoir-faire identifiés, des compétences déjà présentes.

Besoins

C’est bien souvent le besoin identifié (lorsqu’il existe) et son caractère urgent qui nous permettent de diagnostiquer la déclinaison des compétences que la personne doit acquérir sur le long terme pour pouvoir elle-même mettre fin à sa demande dans l’urgence, en visant le plus d’autonomie possible.

Envies

Les centres d’intérêt de la personne sont autant de vecteurs d’une dynamique à partir de laquelle la personne peut s’impliquer dans son apprentissage. Le but premier ne sera pas obligatoirement l’acquisition de compétences numériques de base. Il sera de nourrir une appétence qui concerne chacun en tant que sujet apprenant et, ce faisant, nous tendons à « cultiver » des compétences numériques. En visant un but personnel, un centre d’intérêt motivant car impliquant, le numérique devient alors tout autant sujet qu’objet d’apprentissage.

Outil de diagnostic utilisé

Nous utilisons le référentiel CléA domaine 3 comme outil de diagnostic.
Il s’agit du référentiel de la certification CléA qui permet aux personnes peu ou pas qualifiées de valider leurs savoir-faire en compétences reconnues. Le domaine 3 concerne les compétences numériques de base. Il se décline en 4 parties :

  • La machine
  • La bureautique
  • La recherche internet
  • La communication e-mail

Ce référentiel représente ce que l’on peut considérer comme la base à maitriser en termes de compétences numériques, notamment pour toute personne recherchant un emploi en France. Aussi, si nous passons au tamis de ce référentiel l’entretien oral de l’accueil initial, ce qu’il reste correspond aux compétences numériques sur lesquelles la personne devrait pouvoir s’investir dans un contexte impliquant : l’objectif pédagogique.

Temps 3 : Accompagner

Cette phase nécessite d’envisager un compromis entre la réponse au besoin urgent de la personne et l’apprentissage sur le long terme. Il est primordial de pouvoir répondre à l’urgence pour autant qu’il est indispensable de pouvoir impliquer la personne dans le temps. L’apprentissage et la stabilité des compétences numériques de base ne pourront survenir que si la pratique et l’entrainement se font sur le long terme. Plus le repérage des centres d’intérêt de la personne sera affiné (lors de la phase 1 d’observation, puis de la phase 2 de diagnostic), plus la personne pourra adhérer à un apprentissage où elle s’engagera durablement.

La démarche andragogique prime sur l’outil, qui est à la fois objet et sujet d’apprenance, concept mis en évidence par Philippe Carré [3] :

  • Vouloir apprendre : il s’agit de susciter l’adhésion et la motivation de l’apprenant à apprendre.
  • Savoir apprendre : ici, nous accompagnons l’apprenant à être au centre de SES apprentissages.
  • Pouvoir apprendre : l’importance du contexte d’apprenance mis en place par le formateur permet à l’apprenant de pouvoir s’investir dans son apprentissage guidé par l’envie pour nourrir le besoin.

Il est clair que cette démarche implique un changement de posture quant au rôle du formateur. Cela n’a rien de nouveau quand on connait les pédagogies actives, les pédagogies expérientielles ou encore les pédagogies de projets. Pourtant, pour certains formateurs, cela représente une perte de pouvoir qui est parfois difficile à admettre. Le formateur devient ainsi tour à tour animateur et facilitateur. Si son rôle n’en est pas moins important, le formateur n’est plus le centre. Il crée le contexte dans lequel les apprenants vont pouvoir mettre en œuvre leur apprenance. C’est en périphérie, au côté de l’apprenant, non plus face à face mais au coude à coude « pédagogique » que le formateur accompagne l’apprenance.

Aussi, comme le précise Jean Vanderspelden, il s’agit dès lors pour les apprenants dans cette démarche, d’explorer des contenus pour structurer des connaissances. Ainsi, la théorie vient au service de la pratique et non l’inverse. L’objectif principal dans le C@fé numérique enrichi est bien évidemment l’acquisition de compétences numériques de base en développant la littératie numérique.

Il nous faut donc évoquer cette approche « complémentaire ». La littératie numérique est définie, selon les travaux du Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique Habilomédias, comme une vaste capacité à participer à une société qui utilise le numérique au travail, dans les administrations, en éducation, dans les domaines culturels, dans les espaces civiques, dans les foyers et dans les loisirs [4]. C’est permettre à tous les citoyens d’acquérir une véritable culture numérique comme levier d’inclusion sociale et professionnelle.

La littératie numérique inclut 3 grandes compétences :

  • La compétence informatique correspond au volet technique du numérique : la machine, (savoir utiliser la technique et les technologies numériques, compétences manipulatoires, clavier, souris, périphériques, etc.).
  • La compétence informationnelle correspond à l’esprit critique nécessaire permettant de comprendre le numérique, tout au moins de mettre en œuvre un recul réflexif indispensable pour pouvoir vérifier une information, identifier une source et attribuer un caractère sérieux ou fallacieux à un contenu.
  • La compétence médiatique correspond, quant à elle, à la capacité de créer, d’être acteur avec le numérique (communiquer par exemple).

Les compétences numériques de base que nous avons nommées à travers le référentiel CléA domaine 3 sont les compétences numériques minimales qui permettent à toute personne d’utiliser la machine, la bureautique, la recherche internet et la communication e-mail.

Le Conseil national du numérique, dans son rapport intitulé Citoyens d’une société numérique – Accès, Littératie, Médiations, Pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion numérique, sous la direction de Valérie Peugeot en 2013, précise que la littératie numérique pour tous est désormais une condition de l’inclusion [5]. Il serait intéressant de travailler sur une complémentarité entre ces deux approches : nous en proposons une première tentative. Dans ce cadre, nous représenterons le parcours vers l’inclusion numérique de chaque apprenant comme la courbe d’un graphique dont l’abscisse serait la littératie numérique et l’ordonnée les compétences numériques de base.

Temps 4 : Orienter

Le quatrième temps concerne l’orientation des publics. Il s’agit tout d’abord de s’appuyer sur des outils, lorsqu’ils existent. Par exemple, des cartographies rendant visible l’ensemble des acteurs et actions de médiation numérique mais également d’accompagnement facilitant l’accès aux droits.

Toutefois, il y a une distinction parmi les acteurs qui, pour certains, sont des professionnels de la médiation numérique et, pour d’autres, des acteurs qui ne le sont pas mais qui ont vu leur cadre de fonction évoluer, impacté par le numérique et la dématérialisation. Leurs actions concernent prioritairement l’accès aux droits via un accompagnement numérique. Il s’avère donc nécessaire d’agir en réseau et non pas en vase clos dans un continuum d’actions et d’acteurs.

La démarche ici consiste à recenser les actions périphériques en amont comme en aval. Il ne s’agit pas seulement de disposer des coordonnées de contact, mais bien de connaitre le cœur de la démarche, de délimiter le périmètre d’intervention afin d’identifier les complémentarités possibles entre les autres acteurs et nous-mêmes. C’est uniquement à cette condition que nous pouvons nous inscrire en réelle complémentarité et non côte à côte, en créant du commun. Il convient parfois d’imaginer ce commun jusque dans les actions. Ainsi, plutôt que d’orienter d’un lieu à un autre, d’une action à une autre, il est souhaitable de créer des temps d’action communs afin de sécuriser les publics et de dédramatiser l’inconnu, afin de pouvoir s’y inscrire, tout au moins s’y projeter. Si l’objectif est tout d’abord d’apporter une visibilité, une lisibilité et une complémentarité d’actions auprès des personnes, c’est également la condition sine qua non permettant de passer le relai lorsque c’est nécessaire, dans le respect des rôles et fonctions de chacun. Ce processus contribue donc à la reconnaissance de chacun et participe à une cohérence territoriale tout en s’inscrivant dans une dynamique collaborative.

En conclusion

Le numérique intervient dans tous les domaines, bouleverse tous les métiers, tous les publics. Il apparait aujourd’hui inévitable de coconstruire des périmètres nouveaux pour chacun de nos métiers et d’inventer des espaces communs en nous inspirant de la porosité que propose le numérique. Dans notre rôle de CRI, nous observons également une évolution des contextes et des périmètres jusque-là établis, impactés notamment par le numérique et les compétences associées ou qui en découlent. Si toutes les personnes en situation d’illettrisme sont concernées à des degrés divers par l’illectronisme [6], toutes les personnes en situation d’illectronisme ne sont pas en situation d’illettrisme. Le numérique a donc aussi modifié les notions de compétences, bouleversant les cadres jusqu’alors établis, les notions de frontières ou encore de fractures étant aujourd’hui remises en cause par l’hétérogénéité des compétences et pratiques de chacun dans une perception dynamique et évolutive de l’apprentissage propre au numérique : nous ne pourrons que l’apprendre et les compétences nécessaires seront sans cesse nouvelles. En cela, nous sommes et serons sans cesse tous apprenants d’un numérique à la fois sujet et objet d’apprenance. Encore nous faut-il veiller à rendre accessible au plus grand nombre la capacitation [7] qu’il rend possible dans une dynamique en faveur de l’épanouissement humain. Comme le dit Jacques-François Marchandise [8], un numérique souhaitable en passant du profit de certains au bien de tous.

Stéphane Gardé – référent numérique,
Centre Ressources Illettrisme Auvergne

www.cri-auvergne.org

Voir aussi l’intervention de Staphane Gardé et Danielle Aspert à notre séminaire Numérisation des services publics. Quelle prise en compte des publics peu qualifiés et illettrés ?.


[1La Mission Société numérique est une structure qui a pour vocation d’accompagner la transition numérique des territoires en matière d’usages, d’accès aux droits et de services. Elle soutient le développement des structures de culture, de médiation numérique et des tiers-lieux.

[2L’objectif affiché par le Gouvernement français est de dématérialiser 100 % des pratiques administratives d’ici 2022.

[3Philippe Carré définit l’apprenance comme ensemble durable de dispositions favorables à l’action d’apprendre dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expériencielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite. Voir : Philippe Carré, L’apprenance, Dunod, 2005.

[4Helen Dewaard et Michael Hoeschmann, Définir la politique de littératie numérique et la pratique dans le paysage de l’éducation canadienne, Habilomédias, 2015, p.5. En ligne :

[5Conseil national du numerique, Citoyens d’une société numérique. Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion, rapport à la Ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique, octobre 2013.

[6La définition du néologisme illectronisme, qui transpose le concept d’illettrisme dans le domaine de l’information électronique, désigne un manque de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation des ressources électroniques. On peut recenser deux types de difficultés éprouvées par le lecteur dans l’accès à ces ressources : celles qui sont liées à la pratique et à la manipulation de ces nouveaux outils et celles qui sont liées au contenu et à la vérification des informations véhiculées. Pour autant, il n’y a pas consensus : on peut être lettré et empêché numériquement, on peut être en situation d’illettrisme et avoir des pratiques, sans pour autant être autonome… L’Assemblée nationale française a opté pour le terme d’« illettrisme numérique » tandis que le terme d’illectronisme est passé dans le langage courant. Voir : Voris, L’Illectronisme et la fracture numérique, Agoravox, novembre 2008.

[7La capacitation renvoie au Processus par lequel une personne ou une collectivité se libère d’un état de sujétion, acquiert la capacité d’user de la plénitude de ses droits, s’affranchit d’une dépendance d’ordre social, moral ou intellectuel.

[8Jacques-François Marchandise, Transitions numérique ou écologique : faut-il choisir ?, conférence du 3 octobre 2019 à Clermont-Ferrand pour l’Agence d’urbanisme.