Notre association, rejointe par une large partie du secteur de l’alphabétisation et d’autres organismes, désire porter cette question à l’attention du grand public et des élu [2] en insistant sur la responsabilité politique de l’État de rendre accessibles ses services par différents canaux. Internet ne doit pas devenir l’interface unique des rapports entre citoyen nes et administrations.
esPrendre un rendez-vous médical, payer ses factures, renouveler son abonnement de transport, remplir sa feuille d’impôt… Comme ces usages sont largement liés à une maitrise de l’écrit, les personnes peu scolarisées ou en difficulté de lecture et d’écriture sont, au premier plan, concernées par les transformations numériques et les inégalités sociales qu’elles induisent. Comment prendre rendez-vous via Internet avec ces services si on ne sait ni lire ni écrire et qu’on ne sait pas formuler un e-mail ? Comment remplir un formulaire et prouver qu’on n’est pas des « robots » face à un pop-up qui nous demande d’associer une image à un mot qu’il nous est impossible de déchiffrer ?
La Commission européenne dans son Plan d’action européen 2016-2020 pour l’administration en ligne décrit pourtant comme suit le principe du numérique par défaut : Les administrations publiques devraient de préférence, fournir des services par voie électronique (notamment des informations lisibles en machine), tout en conservant d’autres canaux de communication au bénéfice de ceux qui, par choix ou par force, sont hors connexion.
Mais certaines administrations publiques belges ne respectent pas ce principe et ont clôturé tous les autres canaux de communication. Par exemple, beaucoup de communes à Bruxelles ne permettent d’inscrire les enfants dans les écoles que par la voie numérique. En Wallonie, certains services communaux, pourtant ouverts pour une partie durant la pandémie, ont décidé de fermer les guichets physiques. À de nombreux endroits en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour avoir un contact avec une banque, un centre de contrôle technique automobile, un bureau de remise à l’emploi, les gens sont priés de prendre rendez-vous par e-mail ou par téléphone, soit deux canaux nécessitant de requérir aux savoirs fondamentaux.
Dans la pratique, certaines alternatives existent mais sont presque inaccessibles : guichets ouverts quelques heures par semaine et éloignés, disponibles seulement sous rendez-vous (qu’il faut prendre en ligne, d’ailleurs). Ou des services téléphoniques totalement défaillants. Ou encore le canal papier, qui suppose plus de couts et de délais.
Les plans de relance, d’inclusion, ou de simplification administrative lancés aux niveaux fédéral et régionaux imposent le numérique par défaut et promettent une inclusion rapide de l’ensemble de la population. Dans les faits et les chiffres, ni l’un ni l’autre ne semble acquis. Ainsi 92 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 85 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € ne consultent pas leur dossier médical en ligne. Et 73 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 64 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € par mois n’envoient pas de mails à l’administration
[3]. De plus, une étude publiée ce début septembre par la Fondation Roi Baudouin nous annonce que la montée en compétences attendue n’a pas eu lieu [4].
Nos demandes aux pouvoirs publics
Garantir un accès à tous les services d’intérêt général en maintenant la possibilité d’un contact téléphonique adapté à l’ensemble de la population et un réseau suffisant de guichets offrant un accompagnement qui permet la réalisation des démarches.
Élargir le tarif social à toutes les personnes exposées à la précarité et garantir qu’il soit applicable aux connexions mobiles.
Mettre en place un plan ambitieux de lutte contre les inégalités numériques. Les personnes en difficulté de lecture et d’écriture doivent disposer d’un équipement informatique et d’une connexion internet à prix décent et avoir accès à une formation et à un accompagnement numérique de proximité et adaptés à leur situation.
Consulter en amont les organismes d’alphabétisation comme Lire et Écrire pour penser ensemble la prise en compte des personnes illettrées dans ces processus de dématérialisation (à travers, par exemple, les commissions parlementaires).