Des supports de campagne adaptés pour parler au grand public
Combien de temps ça prend pour un adulte d’apprendre à lire et à écrire ? Est-ce que cette question reste une inconnue pour le grand public ? C’est en partant de cette hypothèse que nous sommes allés à la rencontre de personnes dans les rues de plusieurs communes de Wallonie et de Bruxelles et avons recueilli leurs avis pour constituer la trame d’un micro-trottoir. Ce travail qui sert de support à notre communication média a permis de belles rencontres. Loin des discours politiques formatés, les personnes interviewées dans la rue font preuve de clairvoyance, de respect et d’empathie pour les personnes illettrées. Beaucoup ont conscience de la diversité du public qui entre en formation d’alphabétisation et des difficultés qu’il peut rencontrer dans ce parcours d’apprentissage. Ce plaidoyer inattendu, qui sonne juste, et qui est visible sur notre site, sera diffusé dans différents lieux publics, télés-communautaires et cinémas.
Le 8 septembre sera aussi l’occasion pour nos équipes d’aller à la rencontre du grand public dans de nombreuses villes de Wallonie et à Bruxelles et de les informer sur cette question du temps nécessaire pour apprendre à lire et à écrire quand on est adulte. Nous distribuerons à ceux qui ont accepté de nous écouter et de réfléchir à cette question avec nous un petit carnet ou flyer (9 000 exemplaires ont été édités). Ces supports reprennent également notre slogan, le QR code du micro-trottoir et les coordonnées de chacune de nos régionales.
Nous distribuerons également des sets de table qui reprennent le QR code renvoyant à notre micro-trottoir et le slogan de notre campagne. Plus de 45 000 sets seront distribués en Fédération Wallonie-Bruxelles dans des endroits aussi variés que des restaurants, administrations, lieux culturels, etc.
Nous y avons ajouté, une simple phrase : Parlez-en autour de vous
, comme une invitation à poursuivre la réflexion ensemble et construire avec nous une autre société, basée sur plus d’égalité et de justice sociale, et moins de pauvreté, d’exclusion et d’illettrisme.
Le temps des politiques et le temps des apprentissages
Pourquoi le choix de cette thématique de campagne ? Car nous sommes inquiets par la remise en cause des valeurs qui sont spécifiques à nos formations, et notamment celle essentielle du temps que ça prend à un adulte de s’alphabétiser.
Aujourd’hui, le secteur de l’alphabétisation est sommé « de faire vite ». Et cette politique de rentabilité qui nous est imposée par les pouvoirs publics engendre un climat d’insécurité et d’angoisse parmi les personnes désireuses de s’engager dans un processus de formation. C’est une évidence, l’apprentissage des langages fondamentaux (lire, écrire, parler, calculer) n’est ni simple, ni rapide, qu’on soit un enfant ou un adulte. Mais que dire alors quand on doit apprendre sous la contrainte et dans l’urgence ? Pourtant, de plus en plus, pour une partie de notre public, l’entrée dans un processus d’apprentissage conditionne désormais le maintien de certains droits (chômage, RIS, etc.) ou l’acquisition de nouveaux (nationalité, etc.)
L’activation suppose pour les publics qui en font l’objet, des contrôles accrus, des obligations de résultats, l’imposition de quotas d’heures de formation. Ce cadre trop rigide et formaté ne tient pas compte des réalités de l’alphabétisation qui impliquent le respect des rythmes d’apprentissage des personnes, la prise en compte des projets de chacun et l’acceptation d’une multitude de situations de vie.
Certains le savent déjà : nous naissons tous avec les mêmes capacités à apprendre à lire et à écrire. Pour les publics illettrés, c’est le parcours scolaire ou l’absence de parcours scolaire qui fait la différence. Ils ont mal appris à l’école ou ils n’y sont pas allés. Pourquoi ? Les causes de l’illettrisme sont essentiellement liées aux inégalités socio-économiques et culturelles. Pour les personnes d’origine étrangère, l’école pouvait être tout simplement inexistante ou inaccessible. Pour les personnes d’origine belge, elle était inadaptée. Comme l’explique très justement Catherine Stercq, auteure de nombreux articles sur la question : « Les pratiques scolaires construisent des écarts importants entre les élèves connaissant ‘leur métier d’élève’ et les autres éloignés du monde scolaire. Notamment parce que l’école [1] n’enseigne pas nombre de savoirs et compétences qu’elle considère déjà acquis. Ce qui discrimine et sélectionne, c’est la distance et les malentendus entre l’école et les milieux populaires. Malentendus qui portent sur l’apprentissage, le rapport au savoir, la nature et les enjeux des savoirs scolaires, les changements identitaires, culturels et cognitifs qu’implique l’apprentissage. » [2]
Face à ces publics en mal d’école, les pratiques d’apprentissage à expérimenter sont donc tout autres. Pour une bonne part des analphabètes, il faut tout d’abord rétablir la confiance et redonner un sens à l’apprentissage. Un travail qui se construit dans la durée et qui n’est pas sans heurts et sans difficultés pour ceux qui l’entreprennent.
A cela s’ajoute la diversité des profils et des histoires que les personnes désireuses de s’alphabétiser apportent avec elles. Lire et Écrire accueille des hommes et des femmes, jeunes et âgés, belges et étrangers, sans passé professionnel et au travail, isolés et chefs de famille… qui ont juste en commun d’être en difficulté de lecture et d’écriture. Ces personnes doivent souvent composer avec un bon nombre de contraintes (famille, logement, emploi, formalités administratives, etc.), à la différence d’un enfant qui a l’école pour principale occupation.
Très souvent les apprenants nous posent la question : A votre avis, combien de temps me faudra-t-il pour apprendre à lire et à écrire ?
Vaste question qui dépend de nombreuses variables décrites ci-dessus. Le système scolaire belge prévoit pour chaque enfant 2.400 heures au minimum pour acquérir les bases de leur langue usuelle (en trois ans, de 5 à 8 ans), puis 3.200 heures au minimum pour acquérir un niveau de maitrise correspondant au Certificat d’études de base (en 4 ans, de 9 à 12 ans).
Et qui dit adulte dit aussi expériences et compétences dans de nombreux autres domaines que la lecture et l’écriture. Partir des savoirs et des ressources des personnes fait aussi partie intégrante de la démarche d’alphabétisation. Il s’agit de pratiques basées sur la co-construction et qui impliquent investissement, temps d’écoute, réflexivité et analyse.
Bien sûr, l’alphabétisation, c’est apprendre à lire, écrire, calculer, mais pas seulement. Pour Lire et Écrire, l’alphabétisation n’est pas une fin en soi. Il s’agit toujours d’apprendre à lire pour aider les enfants à l’école, pour trouver du travail, pour sortir de chez soi, pour « entrer » dans la société, mais aussi pour se débrouiller seul, pour être libre, pour mieux comprendre le monde, pour pouvoir voter, pour savoir se défendre…, comme nous le disent les personnes en formation. Alphabétiser, c’est donner des outils – parmi d’autres – pour comprendre le monde, pour s’y situer, pour développer ses capacités d’analyse et de réflexion critique, pour y agir socialement, économiquement, culturellement et politiquement. Tout un programme…