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Qui sont ces ombres qui courent le long de la voie ferrée ? Qui sont ces ombres menottées au sol ?

Communication de la Plateforme pour l’Interculturalité à Tournai (PIT)

Hier [1], Tournai a fait grand bruit dans la presse :

  • Des migrants perturbent la circulation ferroviaire à Tournai – Le Soir
  • Froyennes : d’importants moyens policiers mobilisés suite à une bagarre entre deux groupes de migrants – La DH
  • Des dizaines de migrants interpellés et recherchés par la police entre Blandain et Froyennes – L’Avenir
  • Interpellation de 76 migrants à Froyennes – Nord Éclair

Notélé a interviewé hier midi les coprésidents de la Plateforme pour l’Interculturalité à Tournai (PIT) [2] afin de connaître l’éclairage que nous pouvions apporter aux événements survenus à Froyennes.

Au-delà de la compréhension du malaise ressenti par le voisinage et de la condamnation de toute forme de violence, nous avons voulu rappeler que ce ne sont pas des ombres malveillantes munies de barres de fer qui ont semé le trouble hier matin…

Qui sont ces gens ?

Nous les rencontrons au niveau de la PIT quotidiennement via la permanence sociale et la gestion par un groupe de bénévole de remise de vêtements, de repas, etc… Il s’agit pour la plupart de personnes jeunes (15-25 ans) originaires d’Érythrée et d’Éthiopie qui, voulant fuir la violence et la misère, se retrouvent dans des réseaux de passeurs orchestrés depuis l’Afrique et qui font halte à Péruwelz ou Froyennes pour espérer se glisser clandestinement dans des camions en direction de la Grande-Bretagne.

Ces jeunes ont froid. Ces jeunes ont faim. Ces jeunes ont besoin d’électricité pour recharger leur téléphone. Ces jeunes ont besoin de se laver ; d’aller aux toilettes dans des conditions dignes. Ces jeunes ont besoin d’être soigné.e.s (certaines jeunes filles sont enceintes / l’une ou l’autre de ces grossesses étant probablement issue de viols par les passeurs). Ces jeunes ont besoins de raconter leur histoire ; de sortir de la violence de leur existence ne serait-ce qu’un instant… Ces jeunes ont besoin d’être informée.e.s des possibilités de demande d’asile qu’ils.elles peuvent faire ici en Belgique. Ces jeunes ont besoin de connaître leurs droits et de les exercer librement. Ces jeunes ont pour espoir d’atteindre une vie meilleure outre-Manche. Ces jeunes sont sous l’emprise de réseaux mafieux de passeurs. Ces jeunes attendent dans des tentes, sous des cartons, dans des camps de fortune que la police a détruit hier matin. Ces jeunes dérangent le voisinage. Ces jeunes font peur. Ces jeunes, hier matin, se seraient battus. Ces jeunes hier matin ont perturbé le trafic sur les routes et sur les rails. Ces jeunes se sont fait.e.s arrêter [3] ou sont en fuite.

Pourquoi fuir l’Érythrée ou l’Éthiopie ?

L’Érythrée figure systématiquement dans les dernières places des classements internationaux en matière de libertés politiques, d’expression ou droits de l’Homme. L’Érythrée est un pays où des Chrétiens, s’ils ne font pas partie de la « bonne » église, sont opprimés, torturés. L’Érythrée est un pays où le gouvernement enrôle de force les jeunes, les soumet à une discipline militaire qui prend des allures de travail forcé et de sévices physiques voire sexuels.

L’Éthiopie n’est pas non plus un pays où il fait bon vivre… Mais bon : Guess, H&M ou Calvin Klein ont trouvé l’endroit sympathique vu qu’ils y ont installé leurs usines où le salaire moyen est de 23 euros par mois…

Alors que certains de ces jeunes étaient hier soir encore en détention ou en fuite, nous en avons revus d’autres qui avaient été relâchés. Comme souvent, ils sont venus chercher à manger, des vêtements et de l’électricité pour recharger leur téléphone…

Passé le temps de l’émotion, il importe de se remettre en action. Comment apporter l’aide humanitaire minimale sans pour autant faciliter le trafic d’êtres humains organisé par les passeurs ? Comment concilier la quiétude de nos concitoyen.ne.s et un accueil humain et digne de ces gens venus d’ailleurs ? Comment gérer l’urgence sans renforcer la lenteur ou le désintérêt de nos responsables politiques pour le traitement digne et humain de ces personnes ?

Tout d’abord, la Plateforme pour l’Interculturalité de Tournai rappelle que la commune de Tournai s’est engagée, en signant la motion Commune hospitalière, à améliorer l’accueil des personnes étrangères et favoriser l’interculturalité sur son territoire. Nous poursuivons notre travail d’interpellation et de plaidoyer politique et nous espérons arriver prochainement à des résultats concrets en collaboration avec les services de la ville et l’implication sans faille des bénévoles et des associations.

Parallèlement, nous poursuivons chaque jour à mettre en place des initiatives de rencontres entre citoyen.ne.s, comme les Fêtes de la diversité et interculturelles. Nous continuons d’organiser de nombreuses permanences sociales, juridiques, et prochainement de soutien psychologique et médical. Il s’agit en effet d’accompagner les migrant.e.s dans la connaissance et l’exercice de leurs droits fondamentaux : procédures de demande d’asile, droit à la vie privée, interdiction de la détention arbitraire, etc.

Enfin, en tant que plateforme d’associations et de citoyen.ne.s luttant pour une société plus juste, plus égalitaire, accueillante et respectueuse de chacun.e, nous rappelons et continuerons de clamer qu’aucune solution digne et pérenne ne pourra être trouvée tant que la forteresse Europe continuera à renforcer ses frontières extérieures et à maintenir un système d’immigration de plus en plus strict. Les solutions humanitaires ne sont que des pansements tant que la Belgique continuera à renvoyer vers des pays en guerre, en berne économique ou sous dictature des personnes en quête d’une vie meilleure.

Voir l’article original…


[1NDLR : 30 janvier 2020.

[2NDLR : dont Lire et Écrire Wallonie picarde est membre.

[3Ces jeunes dont la presse n’a pas pris la peine de flouter les visages… Ceci dit les policiers non plus n’ont pas été floutés : certains ont d’ailleurs l’air de prendre bien du plaisir debout devant ces jeunes agenouillés et menottés de force.

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