La place prise par la notion de quotient intellectuel (QI) et ses tests témoigne d’un ordre social bâti sur la différenciation et le classement des individus. On ne peut dès lors éviter de les mettre en relation avec le caractère profondément inégalitaire de notre système économique et social. Il est pourtant possible de réfuter les supposées neutralité et scientificité de ces tests, d’en dénoncer les conséquences pour proposer le Tou·te·s capables comme postulat alternatif, base d’un enseignement inclusif visant la réussite de tou·te·s et de l’alphabétisation populaire. Postulat qui serait moteur d’une société plus juste, démocratique, égalitaire, solidaire et émancipatrice.

Le QI et ses tests de mesure : à l’antipode du Tou·te·scapables

Sylvie-Anne Goffinet, Lire et Écrire Communauté française

L’amalgame entre analphabétisme/illettrisme – et plus largement échec scolaire – et faible niveau d’intelligence a la vie dure. Tant auprès du grand public que chez les professionnels de l’éducation, ou encore chez les personnes en difficulté avec les savoirs de base, comme le montrent ces témoignages recueillis par Agnès Villechaise-Dupont et Joël Zaffran1 :

  • « Vous pensez qu’on est moins intelligent quand on sait pas lire et pas écrire ?
  • Oui certainement, un petit peu.
  • Ah bon… Alors c’est quoi pour vous quelqu’un d’intelligent ?
  • Quelqu’un qui est comme vous : qui sait lire, écrire, compter. Voilà ! » (Alain, 53 ans, employé municipal)

« Mon père il pense que… Il pense que parce que j’ai pas continué des études, parce que j’ai pas fait d’apprentissage, parce que… Il pense que je suis bête pour ça, que je suis qu’une idiote à cause de ça. (…) Il me l’a déjà dit. Il m’a dit comme ça : ‘Si t’étais plus intelligente, tu aurais réussi, tu aurais déjà du boulot.’ » (Aurélie, 19 ans, sans emploi)

Cet amalgame détruit la confiance en ses capacités d’apprentissage et plus largement, chez certaines personnes, la confiance en soi. Il en résulte souvent de grandes difficultés à se réinvestir dans l’apprentissage à l’âge adulte, voire à ne pas se sentir continuellement en relation d’infériorité lors des contacts sociaux.

Les tests d’intelligence déterminant le quotient intellectuel d’une personne ne sont pas étrangers à cet amalgame. Souvent utilisés dans le cadre d’une orientation ou d’une réorientation scolaire, les adultes d’aujourd’hui ayant rencontré de grandes difficultés d’apprentissage dans leur enfance ont de fortes chances d’avoir eu à subir de tels tests à un moment ou l’autre de leur scolarité. Recouverts d’une aura scientifique, ces tests semblent dire la vérité, établir un diagnostic infaillible. Et pourtant…

Et pourtant, ces tests sont largement critiquables :

  • Ils sont basés sur une approche de l’intelligence uniquement quantitative puisque le quotient intellectuel est matérialisé par un chiffre censé refléter le niveau des compétences intellectuelles d’une personne.
  • L’intelligence y est réduite à certaines composantes2 à l’exclusion d’autres, comme la créativité, l’ouverture d’esprit, la mise en contexte…, qui sont pourtant essentielles pour la mise en œuvre de notre intelligence.
  • Quoique considérés comme neutres par ses concepteurs et ses partisans, ces tests comportent des biais culturels et sociaux qui faussent les résultats. Citons le rapport au langage dont la connaissance du vocabulaire, le rapport à la logique déductive, à l’abstraction ainsi que le rapport au temps qui varient selon les références culturelles, l’appartenance et l’identification sociale.
  • Les tests de QI placent les personnes à qui ils sont administrés sur une échelle comparative au sein de leur groupe d’âge et les stigmatisent (positivement ou négativement) : à une extrémité se trouvent les personnes dont les résultats indiqueraient qu’elles sont « mentalement déficientes » et, à l’autre, celles évaluées comme étant « à haut potentiel », c’est-à-dire « surdouées ».
  • Alors qu’on leur attribue souvent une valeur prédictrice, ces tests ne donnent qu’un instantané de ce que la personne réussit à faire à un moment donné et ne disent en réalité rien de ses capacités futures.
  • Ils ne tiennent pas compte de certains facteurs (émotionnels et autres) qui peuvent influencer les capacités de la personne au moment où elle passe les tests.

Ces différentes caractéristiques font qu’au final :

  • Les résultats aux tests de QI ressemblent fort à un copié-collé de la hiérarchie sociale et contribuent à naturaliser la division de la société en classe dominante et classe dominée.
  • Ces tests constituent un outil au service de l’élitisme et de la ségrégation scolaire.
  • Dans le passé ou plus récemment, les résultats aux tests ont été mis ou tentés d’être mis au service d’une politique publique sélective, discriminatoire et/ou eugéniste.
  • Le capitalisme en sort gagnant dans la mesure où l’organisation des tests est 100% compatible avec la conception tayloriste du travail et où les résultats semblent justifier la division sociale du travail.

L’alternative : le Tou·te·s capables

À l’opposé de la logique des tests de QI et de leurs conséquences sélectives, ségrégatives et discriminantes, il semble impératif de penser l’enseignement ordinaire sur un mode inclusif et de réfléchir la pédagogie et la posture pédagogique de l’enseignant en conséquence. Autrement dit de mettre en œuvre le postulat d’éducabilité cognitive, c’est-à-dire de croire, à priori, que tout le monde peut apprendre et de tout mettre en place pour que cela se réalise.

Tou·te·s capables signifie aussi tou·te·s capables de réaliser ses objectifs propres, d’exercer ses droits de citoyens et d’œuvrer collectivement pour une société plus juste, plus démocratique, plus égalitaire et plus solidaire. C’est l’objectif de l’éducation permanente. Et partant, de l’alphabétisation populaire qui vise à permettre aux aprenant·e·s de passer « de l’acceptation du rôle de dominé à celui de se reconnaitre comme sujet acteur/auteur de sa vie, de l’enfermement à la libération, du silence à la prise de parole, de la négation de soi à l’acceptation et à l’affirmation de soi, d’un sentiment d’incapacité à un sentiment de capacité, de l’acceptation de la fatalité au désir de construire son avenir, etc. »3

Si nous sommes persuadé·e·s que nous sommes capables, toutes et tous, chacun et chacune, si nous mettons en œuvre nos intelligences singulières dans leur complémentarité – notre intelligence collective – au service de l’égalité et du changement social, « nous échapperons à l’accablant futur qu’on voudrait nous destiner et serons en état de penser un monde nouveau (…). Le monde sera ce que nous en ferons ! »4 Un fameux pied de nez à la notion de quotient intellectuel et à ses tests !

Une analyse plus détaillée est disponible en ligne :
www.lire-et-ecrire.be/qi


  1. Agnès VILLECHAISE-DUPONT et Joël ZAFFRAN, Résistances à l’infériorisation sociale chez les personnes en situation d’illettrisme, in Revue française de sociologie, 42-4, 2001, pp. 679 et 680, www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_2001_num_42_4_5393
  2. Voir les versions actuelles des tests de Wechsler WAIS-IV pour les adultes, WISC-V et WPPSI-IV pour les enfants sur www.bilan-psychologique.com
  3. Lire et Écrire (sous la coord. de Catherine STERCQ et Aurélie AUDEMAR), Balises
    pour l’alphabétisation populaire. Comprendre, réfléchir et agir le monde
    , 2017, p. 167, https://lire-et-ecrire.be/Balises
  4. Maria-Alice MÉDIONI, Gérard MÉDIONI, Michel NEUMAYER et Etiennette VELLAS, L’utopie, c’est le chemin, in Éducateur, n° spécial, 2017, p. 17, www.gfen-langues.fr/activites/EDUCATEUR-2017_special_colloque_utopie.pdf